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Cocorico, Chicchirichì

Cocorico, Chicchirichì

C’était le matin de Noël. Toutes les poules de la ferme s’étaient levées très tôt, impatientes de célébrer ensemble la plus merveilleuse fête de l’année. Aujourd’hui, elles allaient décorer le grand sapin de la basse-cour et préparer le meilleur repas de toute l’année. — Crois-tu que le Père Noël va nous apporter d’aussi beaux cadeaux que l’an passé ? demanda Poulette. — Je l’espère, répondit Coquette. Je lui ai écrit pour lui demander un joli manteau de plumes brillantes et colorées qui me tiendra bien chaud l’hiver. — Moi, je rêve de graines et de fruits secs, ajouta Picorette. J’adore les friandises, je suis trop gourmande ! À travers la brume du petit matin, on devinait le soleil se levant sur l’horizon. Chantecler, le vieux coq de la ferme, grimpa sur son trône de paille et s’apprêta à pousser son célèbre “Cocorico” matinal. C’est alors qu’on entendit retentir, du fond de la basse-cour, un pauvre petit “Chicchirichì” poussé par une voix éraillée ! Tout le monde se retourna et découvrit un misérable coquelet, à peine un poulet, qui sortait de la mare aux canards, les plumes détrempées. D’un bond, Chantecler vint se dresser devant lui. — Qui es-tu, toi qui oses interrompre mon chant matinal ? On ne te connait pas, ici. D’où arrives-tu ainsi ? — Pardonnez-moi, Majesté, je ne souhaitais pas vous déranger. Je viens seulement vous demander de l’aide. Je suis le coq de la ferme voisine, celle qui se trouve de l’autre côté de la mare. Je l’ai traversée pour venir vous demander du secours, mais j’ai bien failli me noyer, car je ne sais pas nager. — C’est donc ça. Je comprends maintenant pourquoi tu ne chantes pas comme nous. Tu devrais faire un effort ; ici, on chante “Cocorico” et pas tes riquiquis… cricricris… ou je ne sais quoi. — “Chicchirichì”, c’est le chant de mon pays et je n’en connais pas d’autre, j’en suis désolé. Chantecler entendait, derrière lui, glousser les poules qui trouvaient charmant ce petit accent étranger du nouveau venu. Le vieux coq se redressa sur ses ergots. — Et alors, pourquoi n’es-tu pas resté dans ta ferme, avec ceux qui chantent comme toi ? — Mon bon seigneur, j’ai peur ! Chaque fois qu’il y a un grand repas de fête, mon fermier attrape l’un d’entre nous et on ne le revoit jamais. J’ai vu disparaitre ainsi mes parents, mes frères et sœurs, mes cousins et cousines. C’est horrible ! Aujourd’hui, ce sera mon tour, j’en suis sûr. Je vais y laisser des plumes. — Oui, eh bien, ce n’est pas notre problème. Débrouillez-vous avec votre fermier. Nous, ça ne nous regarde pas. — Par pitié, Majesté, laissez-moi rester avec vous. Si j’y retourne, je suis cuit ! — Et puis quoi, encore ? Tu veux picorer notre grain, coucher dans notre paille bien chaude, être engraissé par notre fermière qui n’est pas une sauvage, elle. On ne peut pas accueillir tous les poulets du monde, figure-toi. On ne va pas se laisser plumer comme ça. La crête rouge de colère, Poulette s’interposa entre les deux coqs et regarda Chantecler droit dans les yeux. — Dis donc, espèce de vieille volaille égoïste, c’est donc ça, l’esprit de Noël, d’après toi ? La grande fête de l’amour et du partage s’arrêterait aux frontières de notre ferme, crois-tu ? Ça ne traverse pas ta minuscule cervelle de gallinacé qu’on peut venir en aide aux voisins qui en ont besoin ? Si c’est pour être aussi méchant qu’on t’a élu roi de la basse-cour, on va vite te détrôner ! Toutes les poules se rapprochaient et entouraient maintenant Chantecler. Les autres animaux de la ferme, attirés par les gloussements, venaient s’en mêler. Les pigeons roucoulaient pour dire leur honte du vieux coq. Les canards menaçaient de lui donner des coups de bec. Même le chien, habituellement si gentil, sortit de sa niche pour venir grogner en montrant les crocs. Chantecler se fit tout petit. C’est alors que la fermière, intriguée par ce charivari, approcha et découvrit le petit coquelet en détresse. — Tiens, tiens ! Un nouveau venu à la ferme ? Je ne sais pas d’où tu sors, toi, mais tu vas tenir compagnie à mes bestiaux. Ça leur fera le plus grand bien de voir une nouvelle tête. Et ne crains rien ; ici, on est végétariens. Tous ensemble, les animaux de la basse-cour passèrent le plus joyeux Noël qu’on ait connu, en partageant leurs graines et leurs cadeaux avec le coquelet que l’on pressait de raconter ses aventures. C’est ainsi que la basse-cour résonna, cette nuit-là, d’une toute nouvelle chanson qui faisait “Cocorico, Chicchirichì, Cocorico, Chicchirichì…”

Thierry Collard

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