L’hiver s’installe dans les montagnes du grand nord. Son souffle glacial se répand dans la forêt des brumes. Les flocons de neige redessinent doucement le visage de la nature. Depuis des siècles, la fée Villanelle veille sur ce lieu mystérieux. Malgré la main de l’homme, les arbres centenaires se dressent fièrement en haut des cimes. Non loin de là, un petit village isolé résiste à l’appel de la ville. Autrefois, la fée maintenait l’harmonie entre les humains et la nature mais les habitants, aveuglés par la modernité, se sont détournés de la forêt. Avide de vengeance, le cœur de Villanelle s’est noirci au fil du temps. Lorenzo, un garçon curieux au regard vif, vit tout près de cette forêt. Fils du garde forestier, il aime contempler la nature et fabriquer de ses mains un tas d’objets. La forêt est son refuge mais aussi un terrain de jeu qu’il partage avec sa meilleure amie Sofia. Une enfant malvoyante au visage rond et doux dont l’imagination débordante alimente les jeux et défis des deux amis. Chaque jour après la fin de l’école, ils se rendent en forêt. En ce mois de décembre, ils récoltent de quoi décorer le village pour les fêtes de Noël. Sofia a des milliers d’idées en tête et Lorenzo connaît chaque sentier. – J’aime l’hiver, déclare Lorenzo. Mon père rentre plus tôt et nous décorons la maison. L’endroit devient plus chaleureux. – Ce qui me plaît le plus, ce sont les soirées au coin du feu. Maman nous lit des contes de Noël, explique Sofia. – Qu’avons-nous prévu de ramasser aujourd’hui ? demande-t-il. – Nous devons trouver des branches de sapin, dit Sofia. – Pas question de couper des arbres. Les adultes ont taillé du bois mort dans la clairière, on y trouvera certainement des branches, répond Lorenzo. Main dans la main, les deux amis s’engagent vers le cœur de la forêt. Soudain, Sofia paraît inquiète. Elle ne sent ni le vent qui s’engouffrent dans les branches ni les crépitements des feuilles qui tombent au sol. – C’est étrange ce silence, tu ne trouves pas ? questionne Sofia dont l’intuition ne trompe jamais. – Nous sommes en hiver. La plupart des animaux hibernent. Je ne vois rien d’anormal, répond-il avec assurance. – C’est curieux. Je ressens quelque chose d’inhabituel. Restons sur nos gardes. A mesure que les amis progressent dans la nature, les craintes de la petite fille se confirment. On dirait que la forêt ne respire plus. Tout à coup, elle s’arrête net et colle son oreille sur l’écorce d’un chêne. – Que fais-tu ? demande Lorenzo d’un air soucieux. – J’essaie de comprendre ce qu’il se passe, dit Sofia avec détermination. Soudain, Lorenzo se penche et ramasse un objet au pied de l’arbre. C’est un instrument en bois, taillé à la main. – Tu as trouvé quelque chose ? questionne Sofia. – On dirait une flûte. Elle ressemble à celles que fabriquait ma grandmère lorsque j’étais petit. Lorenzo la porte à sa bouche et aussitôt une puissante mélodie se répand dans la forêt. La musique s’élève, faisant vibrer les arbres autour de lui. La neige tombée au sol se soulève et se met à tournoyer en l’air. Surpris, l’enfant cesse d’en jouer. – Ne t’arrête pas, intime Sofia. Regarde, la forêt réagit. Lorenzo joue à nouveau. Le même phénomène se reproduit. Le vent se lève, la neige virevolte… Les deux enfants comprennent que la flûte n’est pas un instrument ordinaire. – Il y a une marque dessus. On dirait une petite entaille gravée au couteau, conclue le garçon. – Qu’est-ce que ça représente ? demande Sofia. – On dirait la lettre V. D’après son état, elle doit être là depuis longtemps. – Décidemment, c’est étrange. Rentrons. La nuit va tomber, déclare Sofia. Au même moment, au sommet de la montagne, Villanelle observe la scène d’un mauvais œil. Depuis que les hommes abattent des arbres pour les décorations de Noël, elle déclenche des tempêtes de neige pour se venger. – Ca ne passera pas comme ça ! Personne n’a le droit de réveiller la forêt, hurle-t-elle ivre de colère. Alors que les deux amis regagnent leur maison, une masse d’air froid déferle sur eux. Un vent violent commence à réduire leur visibilité. Sofia se cramponne au bras de son ami pour garder l’équilibre. En quelques minutes, la température de l’air chute dangereusement. – Que se passe-t-il ? s’écrie Lorenzo. – On dirait que le blizzard s’abat sur nous, déclare Sofia. Joue de la flûte, il faut calmer cette tempête. Le garçon s’exécute. Lorsque la mélodie retentit, Villanelle devient folle de rage puis s’envole à la poursuite des enfants. La neige tombe désormais à gros flocons, des arbres déracinés tombent au sol. Les deux amis sont seuls face au danger. – Joue plus fort. Tu peux y arriver, l’encourage Sofia. Le garçon ferme les yeux, il se concentre sur la musique. Soudain, la flûte magique scintille dans les mains de l’enfant. En quelques secondes, le vent est aspiré par l’instrument avant de disparaître totalement. – Bravo Lorenzo ! La nature a entendu ton appel. – La nature n’a rien entendu du tout… C’est le pouvoir de la flûte qui a calmé la tempête. Donnez-la-moi sur le champ ! Stupéfaits, les deux enfants se retournent. Un petit être lumineux au regard de glace se dresse devant eux. – Qui êtes-vous ? demande Lorenzo avec courage. – Je suis Villanelle et cette flûte m’appartient. Rendez-la-moi, crie-t-elle. – Attendez, nous pouvons discuter… tente Sofia. – C’est inutile ! Les humains ne respectent plus la nature. Ils détruisent la forêt pour cette stupide fête de Noël. Voilà pourquoi je déclenche des tempêtes. – C’est faux ! s’exclame Lorenzo. Vous nous jugez sans même nous connaître. – Regardez dans notre panier. Nous avons ramassé des branches et de la mousse pour fabriquer nos décorations, explique Sofia. – Nous avons enfin convaincu les habitants du village de faire pareil, déclare fièrement le garçon. – Suivez-nous et vous verrez, propose la fillette. La fée hésite puis émue par la sincérité des enfants, elle décide de les suivre. Une fois au village, Villanelle assiste aux nouvelles traditions de Noël imaginées par Lorenzo et Sofia. Désormais un grand sapin est décoré, sans être coupé. Sous les yeux de la fée, tous les enfants accrochent des pommes de pins colorées et des guirlandes fabriquées à la main. – Que pensez-vous du résultat ? interroge Lorenzo. – Nous avons réussi tous ensemble, ajoute Sofia. – C’est merveilleux, répond la fée émue. Vous avez prouvé que les êtres humains peuvent changer et respecter la nature. La veille de Noël, Villanelle est invitée au village. La vue du sapin vivant et les rires partagés l’apaisent enfin. Lorenzo joue une dernière fois de la flûte avant de la rendre à la fée. Cette dernière fait tomber une neige douce et lumineuse qui enveloppe le village d’un éclat féerique. Pour remercier tous les habitants, Villanelle métamorphose la flûte en un jeune arbre. Lorenzo et Sofia le plantent le jour du nouvel an, au cœur du village. Au fil du temps, l’arbre devient le symbole de l’harmonie retrouvée entre l’homme et la nature. Désormais, Noël est l’occasion de célébrer la magie de la forêt et l’amitié.
VIRGINIE CAZES-GERARDOT