Cette année, le Père Noël n’est pas content. Ses outils sont tous usés,
et le gouvernement du Pays de la Magie ne lui a pas accordé le budget
demandé pour les remplacer. À la place, l’argent servira à restaurer l’une des
trente salles de bal du roi Macaron Premier.
Le Père Noël est rouge de colère. Remarquez, cela va bien avec sa
tenue. Il fulmine, bougonne, et grogne !
– Nom d’un traineau à vapeur ! A-t-on vraiment besoin de TRENTE salles de
bal ?! Se figurent-ils que les lutins et moi fabriquons tous ces beaux jouets
d’un claquement de doigts ? Ou bien pensent-ils que l’argent se trouve sous
les sabots d’un renne ?
Puis, soudain, l’idée lui vient, comme une évidence :
– Cette année, je fais grève ! Et nia nia nia ! Et Petit Papa Noël par ci, et Petit
Papa Noël par là ! Et qu’il faudrait mettre des jouets dans les souliers !
D’une voix moqueuse, il chante :
Petit Papa Noël
Quand tu descendras du ciel,
Avec tes jouets par milliers
N’oublie pas mon petit soulier …
– Et bien, cette année, les petits souliers, crac ! Ils seront vides !
Ayant dit ces mots, il attrape une grosse cloche qu’il secoue comme un
prunier. Aussitôt, tous les lutins accourent. Le Père Noël réclame le silence,
puis il dit :
– Chers Lutins, chers Lutines, j’ai ici la lettre que le gouvernement m’a
envoyée en réponse à ma demande de financement pour le renouvellement
des outils. Permettez-moi de vous la lire :
« Cher M. Noël,
C’est avec un immense regret, que nous nous voyons contraints de vous
refuser la somme demandée.
En effet, vous n’êtes pas sans savoir que l’une des trente salles de bal du
château De notre Bon Roi Macaron Premier est fortement délabrée.
Or, nous avons convié pour de grandes fêtes de fin d’année, une délégation
du pays de la Science Fiction, (avec lequel nous avons eu des rapports
quelque peu conflictuels). Pour des raisons évidentes de diplomatie, il est
primordial de recevoir nos hôtes dans le meilleur environnement possible.
Nous ne doutons pas que vous serez sensible à nos arguments, et que grâce
à votre grande imagination, vous trouverez une solution afin de nous offrir
cette année encore, un merveilleux Noël.
Au nom de tout le gouvernement, veuillez agréer, M. Noël, l’expression de nos
sentiments les plus distingués.
Signé : M. Pleinléfouilles, Ministre du budget ».
– C’est scandaleux ! hurle un lutin, nos outils sont bons à jeter !
– S’imaginent-ils que nous sculptons le bois avec nos dents ? Ou que nous
tordons le fer à mains nues ?
– Mes amis ! vocifère alors le Père Noël en brandissant un poing vengeur,
j’appelle à la grève générale !
La proposition du Père Noël est reçue par une clameur de joie, et un
tonnerre d’applaudissements.
C’est la nuit de Noël. Dans les maisons, cela sent bon la dinde, le pain
d’épices, le vin chaud, et les bûches aux fruits ou au chocolat.
Dans les salons, les sapins sont décorés de boules et de guirlandes
chatoyantes. Les gens rient, chantent, et discutent gaiement. Petits et grands
sont heureux de se retrouver pour célébrer le réveillon.
Pendant ce temps, le Père Noël se prépare.
– Aller hop ! dit-il, au placard mon déguisement de tomate, ce soir je sors mon
costume à paillettes, je descends sur terre, et je m’éclate !
Puis il bondit dans son traineau.
– Allez les rennes ! À fond les ballons ! Cette nuit, je fais la nouba !
Le traineau décolle en trombe, et atterrit dans une grande ville.
Mais voila : un soir de réveillon, il n’y a pas grand-chose d’ouvert. Le
Père Noël songe un moment à aller danser en boite de nuit, mais danser tout
seul, ce n’est pas marrant. Et pour être tout à fait honnête, il trouve qu’en
discothèque, la musique est assourdissante
Il se balade donc seul dans les rues illuminées. Son enthousiasme a
quelque peu diminué. Soudain, son regard se pose sur une maison décorée
avec beaucoup de goût. Une maison où l’on ne s’est pas contenté d’accrocher
quelques guirlandes, mais où l’on a voulu créer un vrai décor de conte de
fées.
– C’est plus fort que moi, se dit-il. Il faut que j’aille voir ça de plus près.
Il s’approche, et jette un coup d’œil par la fenêtre. C’est alors qu’un petit
garçon le voit.
– Papa, Maman ! crie-t-il, il y a un monsieur à la fenêtre !
Les parents ouvrent brutalement la porte, et ils demandent d’un ton
menaçant :
– Qui êtes-vous ? Que venez-vous faire ici ?
– Ne craignez rien ! Je suis le Père Noël.
– C’est même pas vrai ! s’exclame le petit garçon, le Père Noël, il est habillé
en rouge !
– Monsieur, intervient la mère, arrêtez vos salades. Partez sans faire
d’histoires, ou j’appelle la police.
– Mais puisque je vous dis que je suis le Père Noël ! Suivez-moi, et je vous le
prouverai.
Entre temps, deux autres petits garçons sont apparus, attirés par le bruit
– Après tout, se disent les parents, ce monsieur semble inoffensif. Suivons-le,
nous verrons bien.
Et toute la famille suit le vieux monsieur. À quelques mètres de là, le
traineau est garé.
– Alors, vous voyez ? Puis-je vous présenter les rennes ? Ils s’appellent
Broute-Chou, Broute-Carotte, Broute-Patate, et Broutille. Et pour vous
convaincre tout à fait que je ne suis pas un imposteur, regardez ça !
Aussitôt, il saute dans son traineau, qui s’élève illico. Toute la famille est
émerveillée. Les parents proposent :
– Venez donc diner avec nous, nous allions passer à table
Gourmand comme il l’est, le Père Noël ne se fait pas prier. Un bon
repas, ça ne se refuse pas !
– Volontiers ! répond-il. Mais puis-je savoir comment vous vous appelez, les
enfants?
– Moi, c’est Clément ! s’écrie l’ainé.
– Et moi, Philippe ! enchaine le cadet.
– Et moi, Olivier ! renchérit le benjamin.
À table, l’ambiance est chaleureuse. Le Père Noël raconte ses
mésaventures durant ses tournées. Il explique que passer par la cheminée
n’est pas toujours chose aisée. Sans compter que lorsqu’il n’y a pas de
cheminée, il faut trouver un autre moyen d’entrer.
– Une nuit, j’ai bien failli me rompre les os !
Toute la famille rit beaucoup de ses histoires. Mais soudain, Philippe
demande :
– Pourquoi tu ne portes pas ton costume rouge, aujourd’hui ?
Le Père Noël est un peu mal à l’aise. Il bredouille :
– J’avais envie de changer un peu.
– Ben, de toute façon, demain on aura nos cadeaux ! s’exclame Clément en
riant d’excitation.
Le Père Noël est tout penaud. Il réalise qu’à cause de toute cette
histoire, les enfants seront privés de jouets.
– Ce sera un peu différent cette année, les enfants.
– Est-ce qu’on a fait quelque chose de mal ? demande alors Olivier d’une
toute petite voix, en dévisagent le vieil homme de ses grands yeux bleus.
– Non. Pas du tout.
Et la mort dans l’âme, Il raconte tout, en baissant la tête. À sa grande
surprise, la famille comprend et approuve ses revendications. Philippe dit :
– Tu nous fais des cadeaux chaque année, mais personne ne pense à toi !
Alors, spontanément, chaque enfant choisit son plus beau jouet et l’offre
au Père Noël qui, submergé par l’émotion, s’abandonne à la douceur d’un
réveillon en famille.
De Leïla Jadid