« Bonne nuit les enfants, faites de doux rêves. » murmurent les parents à l’unisson
de leurs voix douces et apaisantes en les couvrant de petits baisers sur les joues.
On entend le froissement léger des couvertures, le parquet grincer sous leurs pas
en s’éloignant, le cliquetis discret de la lumière qui s’éteint, la porte de la chambre
qui se ferme doucement suivi du bruit étouffé de leurs pas qui disparaissent dans
le couloir. Alors qu’un doux silence enveloppe maintenant la pièce, troublé
seulement par le souffle léger des enfants, un chuchotement s’élève dans
l’obscurité :
« -Côme, tu dors ?
-Non, et toi Giulia ?
-Non plus.
-Je n’arrive pas à dormir.
-Moi non plus.
-Pourquoi toi ?
-Nous n’avons toujours pas pu décorer le sapin.
-Oui, maman a dit qu’il n’y aurait aucun sapin cette année.
-Pourquoi ?
-Je ne sais pas, elle n’a pas voulu me dire.
-Mais c’est trop triste si on n’a pas de sapin cette année, tu ne trouves pas ?
-Oui… c’est triste. »
Au même moment, sous la lueur argentée de la lune scintillant dans la nuit, nichée
au cœur de la forêt, existe une clairière secrète où les sapins de Noël prennent vie.
Chaque année, ils se préparent avec beaucoup de joie à remplir leur future mission
de Noël. Dans cette école un peu particulière, ils grandissent, apprennent par cœur
leurs leçons : chants et mélodies de Noël, entraînement à faire briller leurs aiguilles
etc. Mais cet hiver, un terrible mal a envahi la clairière : les jeunes sapins ne
parviennent plus à pousser tandis que les plus anciens voient leurs aiguilles
devenir brunes.
Alors que les bruits de la forêt se mêlent aux murmures des sapins, les arbres
entament une grande discussion. Leurs voix trahissent leur âge : grave et sage
pour les anciens, claire et mélodieuse pour les jeunes pousses.
« Cet hiver, je sens la terre plus sèche que jamais sous mes racines. » constate
Très Grand Pin de Sucre, ses branches se penchant dans un soupir noble.
« Il fallait s’y attendre. Les humains ne comprennent plus nos murmures. Autrefois,
ils remerciaient la forêt. » explique Grand Nordmann, sa voix ferme comme un
tronc.
« Nous avons été abandonné par le ciel. » interrompt Grand Nobilis, d’un ton
dramatique. « L’eau manque. A ce rythme-là, il n’y aura bientôt plus jamais de sapin
de Noël ».
Un craquement résonne lorsque Petit Épicéa bouge son tronc frêle : « Très Grand
Pin de Sucre, pourquoi mes petits frères et mes petites sœurs ne grandissent
plus ? Pourquoi vos aiguilles sont-elles brunes ? ».
« Lorsque les humains montrent de l’amour pour la nature, même par des petits
gestes, nous brillons. Or ces derniers temps ils ont oublié de manifester leur
gratitude. » finit par expliquer Très Grand Pin de Sucre, l’air grave.
Un frisson parcourt les branches des sapins, et soudain, tout bruit s’arrête. Tout à
coup, un murmure jaillit des branches de Petit Douglas, qui frissonne d’excitation :
« Vous entendez ? La nuit chante ce soir. ».
Le silence laisse place à une mélodie lointaine, comme des sons de clarinette.
« Ce sont les souvenirs des Noëls passés, quand les humains respectaient encore
la forêt » répond Grand Nobilis avec nostalgie.
« Oh racontez-nous, comment c’était ? » implorent Petit Douglas et Petit Epicéa
de concert.
« Ah mes petits » répond Très Grand Pin de Sucre : « Les humains venaient avec
des énormes boules rouges et des guirlandes. »
« Ils chantaient nos louanges » ajoute Grand Nordmann en scandant chacun de
ses mots au rythme de ses branches comme pour entonner un air militaire.
« Et maintenant tout ce qu’ils veulent ce sont des arbres parfaits pour les oublier
après les fêtes » soupire Grand Nobilis avec drame.
« Il doit pourtant y avoir une solution ! » s’écrie Petit Epicéa.
« Peut-être mais il faut l’aide des humains. » répond Grand Nordmann d’un ton
strict.
« Pourquoi nous aideraient-ils ? Ils ne pensent qu’à leurs cadeaux et leurs lumières
artificielles » déclare Grand Nobilis.
« Ils ont raison ! Si nous n’agissons pas, nous ne survivrons pas à la prochaine
saison. » affirme Très Grand Pin de Sucre.
« Je ne pense même pas arriver jusqu’à Noël » déplore Grand Nobilis, agitant ses
aiguilles avec anxiété.
Petite épicéa, les aiguilles brillantes avance légèrement une de ses petites
branches en direction de grand Nobilis, la déposant avec douceur sur son tronc,
comme pour apaiser son désespoir : « Nous allons nous serrer les branches, nous
sommes une forêt. Quand l’un de nous faiblit, les autres partagent leur force. ».
Les arbres hochent lentement leurs épines.
Alors que le vent se met à siffler un peu plus fort à travers la nuit, il s’élève soudain,
puis murmure quelques mots chargés de mystère : « Entonnez la mélodie ». Les
sapins frissonnent. Grand Nobilis, qui tente de replier ses branches pour se cacher
derrière les silhouettes de ses frères plus robustes, lance un cri d’effroi.
« Vent que dis-tu ? Tu nous as apporté un message ? » Demande Très Grand Pin
de Sucre, en fronçant ses branches d’un mouvement lent, tendant son tronc dans
un effort presque amusant pour essayer de capter le message.
« Mais oui ! Si nous chantons assez fort, les humains nous entendrons. » s’écrient
Petit Épicéa et Petit Douglas d’une seule voix.
Les sapins se redressent et prennent leur souffle. Leurs voix s’élèvent en
crescendo, tel un orchestre. Les anciens ajoutent des notes graves tandis que les
plus jeunes sapins jouent des notes mélodieuses. Ils chantent la douce sérénade
des Noëls passés au rythme de la nuit. La nuit semble jouer sa propre mélodie. On
entend des accords de clarinette se mêler au chant des arbres. La clairière tout
entière devient le cœur battant de l’espoir de Noël.
Au même moment dans la chambre :
« -Giulia tu entends ?
-Non, quoi ?
-Mais si ! La musique.
-Ah oui le violon
-Mais non, tu n’entends pas la clarinette ? »
Le vent fait trembler les rideaux. Une note claire résonne, suivie d’un souffle qui
semble prononcer des mots : « Suivez la voix ».
Les enfants descendent doucement l’escalier sans faire de bruits. On entend
quelques pas légers faire craquer le parquet et l’écho du ronronnement de
Nespresso qui rêve dans la cuisine. Vêtu de leurs vêtements d’hiver qu’ils enfilent
à la hâte, ils se précipitent en direction de la forêt pour suivre la voix. Chacun de
leur pas craque sous la neige fraîche. Sous les branches chargées de givre, le
souffle du vent émet des sons de harpe tandis qu’une chouette hulule doucement
entre les troncs d’arbres.
Giulia s’arrête brusquement, tremblante :
« -Ça fait peur la forêt la nuit.
-Ne fais pas ta poule mouillée, suis-moi.
-Tu es sûr que c’est par ici ?
-Regarde là-bas, on dirait que les sapins brillent.
-Tu ne voudrais pas me donner la main plutôt ? »
Côme attrape la main de sa petite sœur : « Tant que tu es avec moi, il ne peut rien
t’arriver. » Ils reprennent leur route, main dans la main, le vent les guide, soufflant
par intermittence, tantôt caressant leurs joues, tantôt s’engouffrant entre les arbres
sombres. Ils découvrent la clairière magique des sapins de Noël.
« Les humains arrivent ! » S’exclame Grand Nordmann. « Mais ils sont… tout petits ».
« Des enfants !… » ajoute Grand Nobilis, méfiant.
Très Grand Pin de Sucre d’une voix réconfortante déclare : « Les enfants ont des
cœurs purs. Ce sont leurs chants qui ont autrefois uni les humains et la forêt »
Côme, tenant toujours la main de sa sœur : « C’est vous qui chantez ?»
« Oui ! Notre forêt est en danger. » s’exclament tous les sapins d’une seule voix.
Ils expliquent aux enfants que leur forêt est en train de dépérir car les humains ont
peu à peu oublié de manifester leur amour envers la nature.
Les enfants s’approchent doucement. Côme retire son écharpe et l’enroule
délicatement autour des branches de Petit Épicéa. Il enlève ensuite son bonnet
qu’il dépose sur la tête de Petit Douglas : « Maintenant, vous n’aurez plus jamais
froid » dit-il en souriant. Giulia, émue, se met à chanter le chant des sapins que
leurs parents chantaient pour Noël. Sa voix pure emplit la forêt et bientôt les sapins
se joignent à elle.
Petit épicéa, joyeux : « Regardez, mes aiguilles brillent à nouveau ! Nous avons
une nouvelle chance pour Noël ».
Très Grand Pin de Sucre incline ses branches vers les enfants : « Nous ne
pourrons jamais vous remercier assez. »
Côme et Giulia quittent la forêt, le cœur joyeux. Une surprise les attend à la
maison : un magnifique sapin brillant dans la salle à manger, prêt à être décoré le
lendemain matin juste à temps pour Noël.
De Auréline Gay