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Le concours international de sorcellerie

Le concours international de sorcellerie

Personnages : Picpus, Monique, Babette, Frida, Alejandro, Manuela, le sorcier du tapis volant, le sorcier à l’accueil, la sorcière pour présenter, Viperus

Un nouveau jour se lève sur le manoir des Bois Verts. La Picpus habite toujours là, bien installée avec ses araignées, son balais et ses énormes citrouilles qui grossissent tranquillement au fond du jardin. Le soleil passe entre les rideaux troués et vient chatouiller les moustaches de son gros chat Phébus. La Picpus jette un coup d’œil par la fenêtre et soupire.

  • Et il fait encore soleil ! C’est pas possible toute cette lumière ! On est en plein milieu de l’automne nom d’un crapaud ! Où est ma bonne pluie bien froide hein ? Et mon vent qui fait taper les volets ? A ce rythme là on sera tous en maillot de bain pour fêter le nouvel an!

Phébus acquiesce d’un miaulement plaintif.

  • Ben oui mon chat ! C’est bientôt la Toussaint, la fête des morts… Ma fête préférée ! Et s’il fait soleil ça sera une catastrophe !

Elle enfile une paire de chaussons en poils de mygales. Alors qu’elle descend les escaliers poussiéreux, un drôle de bruit attire son attention. C’est son amie Monique qui débarque, l’air complètement surexcité. La Picpus entrouvre sa porte.

  • Foi de moustique j’ai une nouvelle fantastique ! s’excite Monique. Est-ce que tu as reçu le dernier numéro d’ Abracadra magazine ?
  • Ah non pas encore ? Pourquoi ?

Monique tire de sa manche une feuille à moitié déchirée. La Picpus parcourt la page des yeux.

  • Cette année, pour sa cinq centième édition, le concours international de sorcellerie accueillera toutes les personnes qui le souhaitent, sans qu’ils n’aient besoin de passer par les traditionnelles épreuves de qualifications au concours… La Picpus sent son cœur qui accélère.
  • Vous avez vu ça ?! fait une petite voix pincée à l’autre bout du jardin. C’est leur copine Babette qui accourt, un grand sourire aux lèvres.

La Pic-Puce relit la phrase. Elle n’en croit pas ses yeux. Chaque année depuis qu’elle est en âge de tenir une baguette magique, elle tente sa chance aux épreuves de sélection du concours international de sorcellerie. Mais chaque année elle est recalée. Ses tours ne sont jamais assez spectaculaires.

  • Il ne fait aucun doute qu’on va participer à ce concours ! Chaque année, ce sont des tours plus effrayants les uns que les autres ! J’en frissonne d’avance !
  • Oui enfin vous oubliez un détail, rouspète Babette. C’est écrit là, en tout petit. Cette année le concours se déroule à Mexico ! Et il est dans deux jours !
  • Oulaaa c’est où ça México ? En Afrique ? En Adriatique ? En Antarctique ? se pique Monique.
  • Mais nooon ! C’est la capitale du Mexique. En Amérique du Sud. De l’autre côté de cette planète ! caquette Babette.
  • Sapristi, ça veut dire qu’il va falloir y aller en balais volant ! panique Monique.

Elle a horreur du balais depuis qu’elle s’est retrouvée prise dans une averse de grêle à 400 mètres d’altitude.

  • Eh bien Mexico c’est à plus de 90000kms… Donc tu risques d’avoir les fesses en compote en arrivant au concours ! Mais j’ai peut-être une autre solution… Enfin sinon on peut aussi rester tranquillement ici à sculpter nos citrouilles et effrayer les enfants pour Halloween… Comme ce qu’on fait tous les ans quoi !
  • Hors de question ! Ce concours c’est la chance de ma vie ! Balai volant ou pas, je serai de la partie ! rétorque la Picpus en bombant le torse.
  • Que le grand Cric me croque, je viens aussi ! s’écrie Monique.
  • Parfait ! Nous avons de la chance, ma cousine Frida habite Mexico, elle pourra sans doutenous héberger le temps du concours. Rejoignez-moi ce soir près du grand champ de lune. N’oubliez pas vos grimoires et vos baguettes ! sourit Babette en passant la porte.

Monique la suit et la Picpus se retrouve seule dans sa cuisine, un peu abasourdie. Mais elle se ressaisit rapidement et file chercher sa vieille valise sous son lit. Elle la remplit de tout ce qui lui passe sous la main. Une paire de gants en peau de pingouin, un grigri d’Arabie, une vieille chaussette à moitié mangée par les mites. Et le fameux grimoire de sa grande tante Ursulette.

  • Je devrais bien trouver une idée de tour là-dedans. Cette chère Ursulette ne manquait pasd’imagination pour ce qui est de terroriser tout le monde…

Le soir tombe et la Picpus traîne sa grosse valise jusqu’au champ de lune. Elle a mis son plus beau chapeau noir et son châle le moins troué. Elle brinquebale aussi un petit panier en osier duquel s’échappent des miaulements de désespoir. Le pauvre Phébus se terre au fond de son panier. Il n’est jamais allé plus loin que les Bois Verts.

  • Pssst par là !

Monique et Babette lui font signe de les rejoindre sous un grand peuplier. A côté d’elle, il y a un drôle de monsieur assis sur un grand tapis violet.

  • Le vol en direction de Mexico va partir. Toutes les passagères sont priées d’embarquer sur le tapis de la compagnie Air Magic, susurre-t-il d’une voix feutrée.

La Picpus lève un sourcil et s’assoit sur le tapis en serrant son petit panier contre elle. Monique, assise à côté d’elle, n’en mène pas large non plus. Seule Babette paraît tout à son aise. Elle grignote un paquet de pattes d’araignées grillées en feuilletant une brochure sur Mexico.

  • Nous allons arriver au moment de la fête des morts, explique-t-elle avec enthousiasme. Ça s’appelle El dia de los muertos ! C’est un moment extraordinaire pendant lequel tout le monde se maquille, se déguise et fait la fête pour célébrer les gens qui sont morts !

La Picpus hausse les épaules d’un air dédaigneux. Ce qui compte c’est avant tout le concours ! Inutile de traverser l’océan pour voir des gens chanter et danser partout. Le tapis se met à onduler et décolle en direction des nuages. Phébus miaule à la mort au fond de son panier.

  • Chut stupide matou ! Regarde ! Nous sommes dans les airs.

Une montagne de nuage s’étale leurs yeux, parsemée de petits reflets orangers. Au loin, le soleil termine sa course dans une brume violette. Elle aperçoit les Bois Verts, à moitié plongés dans l’obscurité. Les arbres qu’elle connaît par cœur ont l’air minuscule vu d’ici. Elle inspire une grande bouffée de ciel..

-Bon, je vais faire un petit somme, marmonne-t-elle en baissant son chapeau. Bercée par les ondulations du tapis, elle glisse dans le sommeil. Elle s’imagine portant la coupe, grande gagnante du concours. La foule en délire. Sa place dans la lignée des plus grandes sorcières de tous les temps…

Le tapis poursuit sa course dans le ciel et atterrit sans encombre à Mexico. Nos trois sorcières sont toutes froissées et cabossées de leur nuit passée dans les airs. L’air chaud et moite de la ville les fait transpirer à grosses gouttes sous leurs épais châles en laine. En découvrant la ville, elles ouvrent des yeux grands comme des soucoupes. Tout autour d’elles c’est une gigantesque fête. Pleine de fleurs, de couleurs, de personnes qui dansent dans de grandes tenues bariolées et d’enfants qui courent et qui chantent. Partout il y a des vendeurs de petites brioches saupoudrées de sucre. Et les gens portent tous un étrange maquillage sur le visage. On dirait des squelettes.

  • Ça alors ? Mais qu’est-ce que c’est que tout ça ? s’étonne la Picpus ébahie.
  • C’est El dia de los muertos ! s’exclame Babette.
  • Mais où sont les araignées et les fantômes ?
  • Je ne sais pas, mais ça me donne envie de danser! s’enthousiasme Monique en croquant dans une brioche au sucre.

La Picpus fronce les sourcils. Depuis quand est-ce que fêter les morts rend les gens heureux et leur donne envie de danser dans la rue ?

Une dame brune vêtue d’une grande jupe à fleurs accourt en direction des sorcières. Elle est suivie de deux enfants qui portent des couronnes de fleurs sur la tête.

  • Holà chicas, c’est moi Frida ! Et voici mes deux apprentis, Alejandro et Manuela. Venez, venez, je vais vous emmener chez moi !
  • Des enfants… Manquait plus que ça… grommèle la Picpus dépitée.

Les trois amies suivent Frida et ses petits apprentis dans un dédale de petites rues colorées. Des lampions de toutes les couleurs se balancent dans le vent et partout il y a des guirlandes de fleurs. Elles finissent par arriver devant une maison toute penchée, cachée derrière une église. Frida les invite à entrer. La Picpus a la tête qui tourne de voir autant de couleurs. Les tapis, les rideaux, le canapé, tout est joyeux ici. Son manoir tout gris lui manque.

  • Alors vous venez pour le concours ? Ça commence demain et ça se déroule au château de Chapultepec !
  • Oui, d’ailleurs je vous laisse, je dois réviser mon tour, soupire la Picpus en montant dans la chambre. Elle s’assoit sur le lit et ouvre le panier de Phébus. Le pauvre matou est tout déboussolé. Il renifle le couvre-lit d’un air peiné.
  • Oui… Ça manque de poussière par ici. Et ces fleurs partout, ça me gratte le nez ! Enfin bon voyons-voir ce que je vais pouvoir présenter comme sortilège demain… se demande la Picpus en se plongeant dans le manoir de sa grande tante Ursulette.

Trois petits coups discrets se font entendre à la porte.

  • Qu’est-ce que c’est encore ?

Deux petites têtes brunes avec un large sourire entrent dans la pièce. Alejandro et Manuela jettent un coup d’œil curieux au vieux grimoire.

  • Tu vas faire quoi comme tour demain ? demande Manuela.
  • Tu crois que je vais te le dire ? bougonne la Picpus. La vérité c’est qu’elle n’en a aucune idée… Elle a beau feuilleter son grimoire, tous les sortilèges lui paraissent fades et sans intérêt.
  • Avec ma sœur, on s’est entraîné pendant des semaines ! On a inventé un tour incroyable ! avance Alejandro – Ah bon ?
  • Oui… Est-ce que tu veux le voir ? Je crois que tu pourrais en avoir besoin, sourit Manuela. La Picpus prend un air désabusé mais elle est intriguée. Soudain la voix de Frida retentit en bas des escaliers.
  • Manuela, Alejandro, venez m’aider à allumer les bougies !

Les deux enfants s’éclipsent et la Picpus reste seule à tourner et retourner ses tours de magie dans sa tête.

Le lendemain matin toute la ville est en effervescence. L’écho d’une fanfare résonne sous les fenêtres de la chambre. La Picpus a passé la nuit à farfouiller dans son grimoire mais les formules lui paraissent toutes trop compliquées.

  • Ah si seulement Ursulette était encore là pour me partager un peu de son génie… Bon tant pis, j’improviserai.

Elle descend les escaliers. Et tombe nez à nez avec Monique et Babette, toutes deux coiffées d’une couronne de fleurs, en train de danser la salsa au milieu de la cuisine.

  • Mais qu’est-ce que vous fabriquez ?
  • On s’amuse ! Tiens mange un pan de los muertos ça va te mettre de bonne humeur, sourit Monique en lui tendant une brioche couverte de sucre.
  • Pouah mais ça va pas ? Allez retirer ses couronnes et dépêchez-vous, nous allons être en retard au concours !
  • Ah non, on garde les couronnes, allez c’est parti ! s’écrie Babette en attrapant sa baguette. En se rendant au lieu du concours, elles se retrouvent au milieu d’un immense défilé, la musique résonne partout dans la ville. La Picpus avec sa grande robe noire et son chapeau se sent un peu décalée au milieu de toutes ces couleurs.

Elles parviennent au château de Chapultepec. Une immense bâtisse perchée sur les hauteurs de Mexico. Un grand sorcier à la mine lugubre, avec un corbeau perché sur l’épaule les accueille.

  • Pour le concours International de Sorcellerie, vous traversez les jardins et c’est dans l’auditorium, dit-il d’une voix traînante.
  • Enfin un qui ne sourit pas stupidement, pense la Picpus.

L’atmosphère qui règne dans le château est étouffante. Les épais murs sont recouverts de tentures noires et des encens qui brûlent dans tous les coins empestent le dahlia noir.  La Picpus et ses amies arrivent dans une immense salle pleine à craquer de sorciers et de sorcières venus de tous les pays. Ils sont tous vêtus de robes noires et de grands chapeaux. – Retirez donc ces couronnes de fleurs ! peste la Picpus en direction de Monique et Babette. Vous allez nous faire remarquer. Monique et Babette enlèvent leur couronne d’un air penaud.

Elles se frayent un chemin dans la foule et se rapprochent de la scène. Une sorcière aux cheveux couleur de feu et au visage très pâle sous une constellation de tâches de rousseur prend la parole.

  • Sorcières, sorciers, bonjour. Le concours va commencer. Comme personne d’entre vous n’a passé les épreuves de sélection cette année, nous avons tiré au sort l’ordre de passage

des participants. Je vous prie de bien vouloir accueillir notre premier candidat : Le sorcier

Viperus.

Un petit homme aux yeux verts étincelants grimpe sur la scène et commence un incantation. – A ingens anguis oritur et terret turba. Terror !

Un nuage noir sort de ses doigts et forme un immense serpent qui se met à onduler sous les yeux térrifiés de la foule qui applaudit. La Picpus réprime un frisson.

  • Pas mal… C’est assez effrayant….

C’est ensuite au tour d’une grande sorcière aux tresses brunes. Elle entame une danse de la pluie et ce sont des araignées qui se mettent à tomber dans toute la salle. La Picpus hoche la tête. Les sorcières et les sorciers se succèdent sur la scène et redoublent d’invention pour proposer des tours plus effrayants les uns que les autres. Mais au bout d’un moment la Picpus étouffe un bâillement. Elle jette un coup d’œil à Babette qui somnole sur sa chaise et à Monique qui a sorti un tricot.

  • On s’ennuie. Ça me tue de le dire mais il manque de vie ce concours.

La sorcière aux cheveux roux présentent les deux prochains participants.

  • Et maintenant veuillez accueillir nos plus jeunes participants. Manuela et Alejandro !

La Picpus lève les yeux au ciel. Un murmure d’étonnement parcourt la salle alors que les deux enfants montent sur scène. C’est bien la première fois que des enfants participent au concours.

Manuela sort de sa poche une petite fiole remplie d’une poudre dorée et en retire soigneusement le bouchon. Elle la dépose ouverte à ses pieds. Puis Alejandro et elle se prennent les mains et commencent à réciter.

Per pulveris beatitudinem, quod omnis populus huius locus laetissimus. Allegria !

La poudre dorée s’envole du flacon dans un nuage étincelant. Elle vient saupoudrer les chapeaux noirs et les nez crochus partout dans la salle. Un grand silence s’installe.

La Picpus se frotte le nez.

  • Et quoi ? C’est tout ? Il nous ont enfumé avec leur paillettes et c’est fini ?

Mais à peine a-t-elle fini de ronchonner qu’une musique entrainante sortie de nulle part retentit. Les murs se couvrent de couleurs et des guirlandes de fleurs apparaissent aux quatres coins de la pièce. La picpus regarde Babette et réprime un cri de surprise.

  • Haaan Babette ! tes cheveux ! Ils sont bleus !
  • Et toi jaune poussin ! Et ton chapeau est tout bariolé !
  • Et moi j’ai du vernis à ongle vert à paillettes, s’étonne le sorcier Viperus.
  • Oui et du rouge-lèvres assortis ! rigole Monique. Mais ça te va très bien ! Tu as l’air beaucoup plus joyeux comme ça !

C’est comme si une immense vague de couleurs s’était répandue sur tous les sorciers et sorcières de la salle. Certains ont les cheveux roses, d’autres des moustaches violettes, d’autres voient leur robe se couvrir de fleurs. Un sourire incontrôlé vient étirer les lèvres de la Picpus. Puis un petit rire la secoue. Monique et Babette se mettent à glousser à côté d’elle. Bientôt toute la salle est prise d’un fou-rire général.

  • Mais qu’est-ce qui nous arrive ? bafouille la Picpus entre deux éclats de rire.
  • Je crois que ces gamins nous ont inondés de bonheur, hoquette Babette.
  • Et moi j’ai envie de danser ! rigole Monique en commençant à se trémousser.

Et voilà que la Picpus aussi est prise d’une incontrôlable envie de danser, de chanter et de faire la fête.

  • Allons dehors, dans le défilé! Allons danser avec les autres sous le soleil ! s’écrie-t-elle en lançant son chapeau dans les airs et en détachant ses longs cheveux gris.
  • Et… Et le concours ?
  • On s’en fiche ! Ici c’est la vie, c’est la fiesta ! Et puis ce concours n’est même pas amusant avec tous ces gens et leurs tours effrayants! Allez arriba arriba!

Toutes les sorcières et tous les sorciers semblent avoir eu la même idée et les voilà qui sortent du château, se mêlent à la foule et se mettent à danser sous le soleil. La Picpus rient de toutes les couleurs qui animent la ville. Dans le grand bleu du ciel elle croit voir sa tante Ursulette qui lui fait un clin d’oeil.  Après tout, pas besoin de fantômes et d’araignées pour fêter les morts. Les sourires et la joie c’est aussi bien !

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