Entends-tu les flocons chuchoter le secret d’un conte hivernal ? Ce
murmure est aussi délicat que la musique douce d’un violon.
La lumière décline maintenant sur la forêt enchantée. Le soleil est tiède,
si bas sur l’horizon. Les nuits s’allongent. Le froid piquant s’installe. Les
animaux et les hommes ralentissent leurs activités et se reposent. Il n’est
pas rare de les voir se promener ensemble, souvent en silence, à l’écoute
de la nature endormie.
Ce matin, les enfants veulent aider les animaux qui ont de la peine à
trouver de la nourriture sous l’épaisse couverture neigeuse qui recouvre
désormais leur forêt.
– Donne-moi la main Violette, propose Lupin. Tu es encore petite, tu n’as
même pas trois étés !
– Na, lui répond-elle fermement.
– Mais, tu risques de glisser ! proteste-t-il.
Violette ne l’écoute pas. Elle coure maintenant sur la neige, sans tomber,
puis elle suit un sentier étroit qui serpente dans la forêt. En une saison,
elle a encore grandi. Elle est vive, joyeuse, souriante, et de plus en plus
indépendante. Ses cheveux bruns bouclent. Ses yeux, bleu myosotis en
été, ont pris maintenant la couleur de l’automne et pétillent de curiosité.
Le froid colore ses joues rondes. Son cousin, qui compte déjà six hivers,
l’accompagne souvent avec ses amis. Lupin entend le rire cristallin de sa
cousine qui les appelle maintenant.
– Lupin ! Là, venez !
– Oui, nous arrivons !
Le jeune garçon s’amuse de l’assurance de sa petite cousine et de sa
volonté de montrer le chemin à tous. Ils la rejoignent au cœur d’une
clairière, baignée de lumière. Les épicéas, les sapins et les hêtres
semblent en être les gardiens. Une rivière traverse la clairière et permet à
deux bouleaux, un frêne et un saule pleureur d’y tremper leurs longues
racines. Sous la fine pellicule de glace, l’eau continue à couler. Les enfants
s’arrêtent un moment pour l’entendre chanter. La rivière ne les invite-t-elle
pas, comme les flocons tombés sur leur forêt enchantée, à écouter le
secret d’un conte hivernal ? Le doux glissement de l’eau sous la glace est
une mélodie subtile et enchanteresse, comme les sons clairs et fluides de
la harpe.
Violette s’approche de la rivière gelée. Mais au lieu de s’y intéresser, elle
s’agenouille, retire ses moufles, plonge sa main dans la large poche de sa
parka et dépose au pied d’un des bouleaux des noisettes, des noix, des
glands et des graines d’aroles. Ses amis l’imitent, en choisissant de laisser
leur trésor sur la neige qu’ils tassent. Déjà, deux geais s’approchent. Puis,
un écureuil, fort peu effarouché, les rejoint. Finalement, un casse-noix
moucheté atterrit dans la neige fraîche, dans laquelle il s’enfonce, avant
de sauter jusqu’aux graines d’aroles dont il raffole. Il chante vivement :
– Kraah, kra-kra kraak, kraah !
Son chant est puissant et gutturale et résonne dans la forêt. N’entendez-
vous pas les tonalités graves et profondes du saxophone ? Les geais lui répondent :
– Kraah tchék, kraah tchék, kraah tchék.
Leur cri perce aussi le silence de la forêt, comme le ferait une clarinette.
L’écureuil vocalise :
– Tsit-tsit, tsit-tsit…
Son sifflement est aussi doux que les sons délicats et mélodieux de la
flûte. Il se fonde dans le murmure de la forêt. Peut-être les animaux
remercient-ils les enfants ? Ils se réjouissent en effet de ne pas devoir
déterrer leurs précieuses réserves. Les trois oiseaux, à l’opposé de
l’écureuil, les retrouvent pourtant toujours, grâce à leur excellente
mémoire.
Au contraire de ses amis qui s’émerveillent de cette rencontre, Violette n’a
pas vu les animaux, puisqu’un éclair blanc, dans la rivière, a attiré son
attention. Curieuse, elle se penche donc avec précaution au-dessus de
l’eau pour ne pas glisser. Elle observe la surface de la rivière qui a gelé
près de la rive. La glace est fraîche et transparente, bleu foncé avec des
fissures blanches. Mais à la place de voir, à travers la fine pellicule gelée,
la rivière qui continue de couler, elle se voit comme dans un miroir.
Pourtant, la fillette qui la regarde est un peu différente. Elle porte un pull
en laine rose saumon. Sa peau et ses cheveux sont peut-être plus clairs,
ses yeux plus foncés. Elle n’est pas dans le froid piquant, comme elle,
mais à l’intérieur. Elle est assise près d’un petit sapin vert qui brille de mille
lumières ! Violette est surprise. Chez elle, les sapins sont dehors, sous la
neige. Ils brillent aussi quand le soleil caresse leurs branches alourdies de
neige. A travers la rivière gelée, les deux enfants se regardent et se
sourient. Soudain, derrière le miroir de glace, la fillette tend les bras et se
retrouve dans ceux de sa maman. Violette a l’impression qu’elle est aussi
douce que la sienne et son cœur se serre. La fillette accroche à nouveau
son regard, à travers la rivière gelée, avant de se blottir contre le ventre
tout rond de sa maman. Puis l’image disparait, dans le même éclair blanc
qui a traversé la rivière quelques minutes plus tôt.
– Violette ? Viens maintenant, nous rentrons !
La voix de Lupin semble avoir brisé le miroir et réveille Violette de sa
torpeur. Elle a froid maintenant, mais son cœur est brûlant. Elle est donc
la première à se lancer sur le sentier qui les ramène à leur hameau. Elle
coure si vite que Lupin doit encourager leurs amis à allonger le pas. Enfin,
les enfants arrivent au village. Comme à chaque solstice d’hiver, il est
décoré de branches de gui aux boules blanches, de houx aux belles baies
rouges, de rameaux de buis ou du lierre vert vif.
Violette rentre chez elle. Son papa se réchauffe près du feu qui crépite
dans leur cheminée. Sa maman se repose, assise dans sa chaise à
bascule. Les flammes s’élancent joyeusement, comme s’il fallait qu’elles
montent haut pour appeler à nouveau le printemps. Chaque étincelle qui
jaillit rappelle les notes vives et claires des baguettes qui frappent les
lames du xylophone. Ses parents l’accueillent avec joie, tandis que
Violette grimpe sur les genoux de sa maman. Elle se blottit contre elle,
comme la fillette derrière le miroir de glace de la rivière l’a fait avec la
sienne. Elle pose sa petite main sur le ventre de sa maman qui lui caresse
alors les cheveux et lui chuchote :
– Alors, ma Violette, tu as déjà compris ?
– Wii ! lui répond-elle.
Le papa s’approche alors de sa fille et de sa femme. Il pose lui aussi sa
large main sur le ventre de sa femme.
– Au solstice d’été, Violette, tu rencontreras ton frère ou ta sœur, qui
grandit maintenant dans le ventre de ta maman. Nous serons alors
quatre, comme les quatre saisons qui rythment notre vie.
De Véronique Völki