C’est le début de décembre. La neige tombe doucement, comme des plumes
blanches dans le ciel. Chaque flocon danse avant de se poser sur les
champs, les maisons et les toits du petit village de la Vallée des Étoiles. Les
branches des arbres sont recouvertes de givre. Dans la forêt, tout est calme.
Le sol est doux, silencieux, et même le vent semble chuchoter.
— Chut….
Les biches, en quête de chaleur, se blottissent dans leur terrier de mousses,
là, sous les racines des grands chênes, où la neige peine à atteindre le sol.
L’air sent le bois humide et le feuillage gelé. Les faons respirent tranquillement
sur le ventre chaud de leur mère, toute enroulée autour d’eux, formant un
cocon de tendresse et de chaleur. On entend le doux souffle de leur
respiration, presque imperceptible, comme un murmure secret entre eux.
Le blaireau, bien au chaud dans son terrier, laisse échapper un grognement
en se tournant. Il s’endort à côté de sa réserve de nourriture. De temps à
autre, on entend le froissement d’une feuille morte sous ses griffes. Une petite
musaraigne, coquine et agile, se faufile en toute discrétion. Elle creuse
lentement sous la neige, pour lui chiper un morceau de betterave.
Là-haut, dans les branches des chênes, les écureuils ont amassé un trésor de
noisettes et de baies. Les fruits, maintenant durs comme du roc, craquent
sous leurs dents aiguisées. Scritch scritch, on entend un petit bruit sec, tandis
qu’ils les grignotent lentement. Du haut de sa tour de contrôle, la pie scrute le
paysage depuis son nid douillet. A la tombée de la nuit, quelque chose se
passe au loin. Elle aperçoit un tourbillon de neige qui semble se rapprocher.
Le nuage se met à gronder, à vrombir de plus en plus fort à l’orée de la forêt.
Vroum, vroum … Un engin géant avance sur la neige, avec des gros crochets
métalliques qui pendent de chaque côté et des sirènes qui hurlent,
wouii-wouii, envoyant des faisceaux rouges et bleus sur la neige. À l’avant,
une grande lame brille sous les lumières. C’est l’abatteuse, avec ses dents de
fer qui coupent les jeunes sapins !
La pie, paniquée tout en haut du grand chêne, se dresse d’un coup en cheffe
d’orchestre. Elle agite sa queue et lance son cri d’alarme perçant :
— Criaaak ! Criaaak !
L’appel résonne dans toute la forêt. À ce signal, le pic épeiche commence à
toquer contre l’écorce. Il frappe un pouls régulier.
— Toc… toc…
Chaque année, à la même période, la grande machine bruyante entre dans la
forêt. Des personnes viennent couper des sapins pour Noël et les emmènent
loin, sans retour. Mais cette fois, tout est différent : les lapins, les écureuils, les
oiseaux et même les insectes se sont mis d’accord. Ensemble, ils ont imaginé
un plan secret pour sauver leurs amis les sapins. Cette année, ils sont prêts à
tout pour les protéger.
Au cri de la pie, toute la forêt s’agite. C’est enfin le moment tant attendu. Les
animaux se préparent : les biches relèvent la tête, les oreilles aux aguets. Les
écureuils cessent de grignoter. Même le blaireau, encore tout endormi, sort
une patte griffue de son terrier. Chacun sait ce qu’il a à faire. Les animaux, du
plus petit au plus grand, se mettent à accorder les battements de leur cœur au
rythme du pic. Tout le petit peuple de la forêt ferme les yeux en écoutant son
cœur. Les cœurs battent d’abord timidement : boum… boum… Puis de plus
en plus fort : Boum… boum… boum… Ils se mettent à battre ensemble,
comme un tambour géant.
— Boum-boum, boum-boum …
Un murmure doux parcourt la forêt, et le sol commence à frissonner, comme
s’il écoutait une mélodie magique. Puis, soudain, un secret invisible s’éveille.
Sous un jeune sapin, un petit champignon coiffé d’une drôle de capuche
s’ouvre doucement. Ploc. Un instant plus tard, un deuxième apparaît. Ploc,
ploc. Et encore un autre. Les champignons brillent d’une lumière douce et
dorée, comme des étoiles venues se cacher dans la mousse. Leur éclat
éclabousse la neige d’étincelles, transformant la forêt en un royaume
enchanté.
En plus de cela, sous la terre, quelque chose de très ancien s’éveille. Les
champignons ont un pouvoir tout particulier. Au dessous d’eux, profond dans
la terre, ils s’étendent en long filaments. Ces fils minuscules s’entrelacent, ils
relient toute la forêt, comme une toile d’araignée géante cachée sous le sol.
Les racines magiques, très fines, comme des cheveux invisibles, s’étirent
dans toutes les directions.
On appelle cela le mycélium. C’est comme une toile magique qui relie les
arbres, les champignons et même les animaux, formant une grande famille.
Sous la terre, alors que les cœurs battent à l’unisson, le mycélium s’éveille
doucement. Ses filaments étincelants commencent à briller et à partager leur
lumière. Peu à peu, la forêt tout entière se transforme : le sol s’illumine,
comme un sapin de Noël ! Des vagues lumineuses ondulent sous la terre,
courant jusqu’aux villages, aux champs et aux prairies. Tout scintille, comme
si la Terre elle-même portait un océan d’étoiles multicolores. Bientôt, c’est
toute la vallée, puis toutes les forêts du pays, qui s’illuminent dans une danse
lumineuse, diffusant la magie bien au-delà de l’horizon.
Dans le village, les enfants courent dehors, les joues rouges de froid,
émerveillés par ce spectacle féérique.
— Regardez ! La terre brille !
Les parents les suivent, serrés dans leurs manteaux. Les vagues lumineuses
s’étendent à la surface du monde entier cette nuit-là.
La grande abatteuse, qui s’était approchée pour couper les sapins, s’arrête
net. Le conducteur descend, les yeux écarquillés :
— Je ne peux pas toucher à ça… C’est bien trop beau.
Cette nuit-là, la terre entière scintille comme une fabuleuse fête de Noël. Les
galaxies dans l’espace semblent même cligner des yeux pour admirer le
spectacle en bas. Les gens, petits et grands, sentent une chaleur douce
monter dans leur cœur, comme un miel tout léger. Quelque chose de
merveilleux s’éveille en eux : un petit battement, rapide d’abord, comme un
tambourin qui apprend à jouer. Puis de plus en plus de cœurs se mettent à
vibrer et tapoter, chacun trouvant son propre rythme. Certains hésitent encore,
d’autres écoutent encore, puis, petit à petit, les pulsations commencent à
danser ensemble dans un même rythme. La nuit de Noël devient une grande
cadence d’amour, où chaque battement s’ajoute à cette grande harmonie qui
unit tout le monde.
Fin.
De Jennifer Gaumann