L’histoire que je vais vous conter commence au beau milieu de l’Atlantique
par la rencontre d’un pélican et d’une cigogne. Ces deux oiseaux, arrivant un
jour de directions opposées, s’arrêtèrent sur un ilot de pierre au même moment
afin de reposer leurs ailes épuisées par le long voyage qu’ils venaient
d’effectuer, l’un venant du nord, l’autre du sud. Chacun déposa sur le caillou un
paquet peu ordinaire. Le pélican extirpa de son grand bec un nid contenant un
poupon endormi tandis que la cigogne ouvrait un ballot de langes dans lequel
dormait un minuscule bébé. Les deux oiseaux rirent de la coïncidence de leur
mission qui consistait à offrir un nouveau-né à des parents aussi éloignés qu’il
est possible, une maison australe pour le paquet du pélican, une autre boréale
pour celui de la cigogne. C’est une petite fille, émit fièrement cette dernière en
présentant son bagage. Elle va s’appeler Gayana. Moi, c’est un garçon, répliqua
le pélican, qu’on nommera Virkélé là où je dois le déposer. Et les oiseaux
commencèrent à se raconter leur vie, décrivant des aventures et des paysages
ignorés de l’autre, si bien que les heures passèrent sans qu’ils songent à
reprendre la route. Les deux bébés, peut-être charmés par les contes des
volatiles, s’étaient pris par la main et écoutaient sans se lasser la description
des paysages, des mœurs et des coutumes des provinces d’où arrivaient leurs
deux messagers. Enfin arriva l’heure de redécoller. Mais les messagers
décidèrent d’échanger leur plan de vol, curieux de découvrir le pays que l’autre
avait décrit. Le pélican accepta d’emporter Virkélé vers le nord de la Finlande
qu’il ne connaissait pas et la cigogne la petite Gayana dans le sud du Brésil où
elle n’avait jamais mis une patte. Les adresses dûment retenues, chacun
s’envola vers sa nouvelle destination. Le voyage s’acheva pour les deux petits
humains au moment de Noël où leur famille les accueillit avec grande joie.
Gayana devint une jeune fille du sud, Virkélé un gaillard du nord. Seize années
s’écoulèrent sans que l’un ait des nouvelles de l’autre, de l’autre bout du globe.
Il faut dire qu’à l’époque où se situe cette histoire, il n’existait ni téléphone, ni
ordinateur, ni voiture ou avion. Seule une lettre écrite à la plume et à l’encre
pouvait parvenir par terre ou par mer de l’autre côté du monde. C’est Gayana
qui la première entreprit d’envoyer une invitation à Virkélé, se souvenant de son
adresse indiquée par la cigogne au pélican. La jeune fille souhaitait que Virkélé
la rejoigne pour Noël, espérant que le jeune homme se souviendrait qu’elle avait
glissé sa main dans la sienne du temps de leur naissance. La lettre mit plusieurs
mois pour arriver entre les mains de Virkélé qui sentit son cœur se soulever
d’émotion en la lisant. Il fit aussitôt son bagage et prit la route. À pied, à cheval,
en bateau, il parvint chez Gayana tout juste à la veille de Noël. En retrouvant
celle qui n’avait jamais quitté ses pensées, il sut qu’il passerait le restant de ses
jours avec elle. De son côté, Gayana, en admirant le gaillard qu’il était devenu,
eut la même certitude. Mais un sujet de dispute s’immisça dans leur projet
commun. Virkélé ne pouvait concevoir que Noël fût ici synonyme de fête d’été.
Il faisait si chaud dans le pays de Gayana que l’on s’apprêtait à célébrer la
Nativité dehors, en mangeant force fruits gorgés de soleil, habillés d’une simple
étoffe, sous le jour éclatant d’un astre rutilant. – Non ! s’exclama-t-il, Noël, c’est
le mystère de la nuit glacée, l’étoile au-dessus d’un champ de neige, le festin
devant un feu de cheminée. Je suis désolé, Gayana, mais je ne peux m’unir à
toi si tu vois les choses autrement. Gayana, fort contrariée, lui proposa alors de
le rejoindre l’année suivante, chez lui, dans le Grand Nord, pour constater ce
qu’était Noël, là-bas. Quelle ne fut pas sa surprise douze mois plus tard, de
comprendre que Virkélé avait dit vrai. Noël ici, c’était le froid, la nuit, l’intérieur
sombre d’une maison battue par les vents. – Jamais je ne pourrai vivre Noël
ainsi, se désola-t-elle. Où est passé le soleil ? On ne rit pas en dansant sur la
plage chez toi ? Hélas, je ne peux m’unir à toi, Virkélé, si tu ne me comprends
pas. Et les deux amoureux se séparèrent sans espoir de réconciliation. Un an
de plus se passa quand eut lieu une nouvelle rencontre inopinée entre le pélican
et la cigogne sur leur île de l’Atlantique. Au bonheur de se retrouver se mêla
une peine étrange lorsque l’un apprit à l’autre ce qu’étaient devenus leurs petits
protégés dont ils avaient toujours espéré les fiançailles. Ils décidèrent d’agir et
pour ce faire, appelèrent à la rescousse le peuple entier des cigognes et des
pélicans. Une grande assemblée se tint sur l’île, animée et joyeuse, et le résultat
de leurs délibérations fut que tous les pélicans partiraient vers la Finlande quand
toutes les cigognes s’en iraient vers le Brésil. Profitant de la nuit, les uns et les
autres enlevèrent Virkélé et Gayana pendant leur sommeil et revinrent les
déposer sur le caillou de leur naissance. Par chance, c’était une île étrange où
régnait un climat à la demande. Il pouvait y faire un froid polaire ou une chaleur
tropicale selon le souhait de quiconque le faisait avec amour. Comme leurs deux
cœurs étaient purs et leur affection sincère, Gayana et Virkélé n’eurent aucun
mal à s’y installer et à fêter Noël selon la coutume de l’un comme de l’autre. Il
va sans dire que bien des pélicans et bien des cigognes furent chaque année
invités à partager leur bonheur.
De Dany Lecènes