Quel réveillon! - Ocarina Player
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Quel réveillon!

Quel réveillon!

Il était une fois un vieux monsieur et son chien, perdus au milieu d’une forêt.
Tous deux avançaient à leur rythme, c’est-à-dire lentement, au milieu des hauts
sapins et de la neige épaisse. La nuit commençait à arriver, et avec elle le froid
encore plus mordant et les bruits étranges qui semblent attendre ce moment de
la journée pour faire leur apparition. Crac, un morceau de bois qui se brise. Hou-
hou, un hibou qui s’éveille. Fsss, les branches des arbres qui dansent sous le
vent glacial.
— Allez, viens Nono. Regarde, il y a quelque chose là-bas.
Le vieux monsieur montra du doigt une grande maison apparue au loin. D’une
cheminée s’échappait de la fumée et des fenêtres on devinait de la lumière. Le
chien aboya en signe de contentement. Tous deux sentirent le courage revenir
et hâtèrent le pas.
Alors qu’ils atteignaient la porte d’entrée et que le vieil homme hésitait à toquer,
époussetant son manteau pour faire meilleure impression – pof, pof, pof – son
chien ne se posa pas de question et émit deux légers aboiements, assez forts
tout de même pour être entendus de l’intérieur. Wouf, wouf. Son maître haussa
les épaules et frappa trois coups secs. Toc, toc, toc !
Une odeur de cannelle et de biscuits se mêlait à celle de la fumée et chatouillait
les narines et le museau des visiteurs, ce qui rendait leur attente encore plus
difficile. Pour patienter, le monsieur chantonna par-dessus les musiques de
Noël qui résonnaient derrière les vitres. Nono leva une oreille lorsque des pas
rythmés retentirent : des gens dansaient et riaient.
Enfin, une clé tourna dans la serrure, et une petite dame âgée passa sa tête
souriante entre la porte. Elle portait un collier composé de petites pommes de
pin qui faisait un doux bruit dès qu’elle bougeait.
— Ne restez pas dehors, entrez, entrez !
Alors qu’ils posaient leurs pieds et leurs pattes sur le parquet en bois massif,
les rires et les cris s’arrêtèrent soudainement, laissant place à un silence empli
de curiosité. Seule la musique continuait en fond, jusqu’à ce que quelqu’un la
coupe.
— Ne soyez pas timides !
Le vieux monsieur crut d’abord que cette phrase lui était adressée, puis il
comprit que dans la pièce se trouvaient d’autres personnes encore plus
réservées que lui : dix têtes brunes, blondes, et même rousses les fixaient, lui
et son chien, semblant osciller entre la crainte et l’envie de les saluer.
L’hôtesse désigna à ses invités un fauteuil et un tapis, puis s’excusa :
— Ne leur en voulez pas, ils n’ont pas l’habitude de voir du monde. Je reviens
dans un instant.
Des bruits de casseroles déplacées au fond d’un placard parvinrent jusqu’au
salon où personne n’osait parler, puis la vieille dame revint avec une gamelle
d’eau pour Nono.
— Tiens mon grand, lança-t-elle en posant le récipient devant l’animal. Et vous,
les enfants, vous pouvez vous approcher, ou repartir jouer. Dans tous les cas,
remettez-nous la musique, s’il vous plaît !
Certains enfants balbutièrent quelques mots, gênés, d’autres filèrent à l’opposé,
et d’autres encore firent un pas vers Nono. La mamie soupira en riant et ralluma
elle-même la musique.
— Alors, que faites-vous ici, seuls au milieu de nulle part, la veille de Noël ?
Sa voix était douce et son intonation bienveillante. De celles qui mettent à l’aise
instantanément.
— J’ai voulu offrir une dernière balade à mon chien. Il faut croire qu’on s’est
perdus.
— Ou au contraire que vous nous avez trouvés. Soyez les bienvenus. Je
m’appelle Marie-Noëlle. Et ces chenapans sont mes petits-enfants.
— Joël. Lui, c’est Nono. Merci.
Il ne trouva rien d’autre à dire. Son regard retourna vers la gamelle ornée d’un
R majuscule.
— Vous avez un chien ?
— Hélas, plus maintenant.
Alors qu’elle semblait vouloir ajouter autre chose, la porte d’entrée s’ouvrit de
nouveau et un gros bonhomme aussi joufflu que barbu fit son apparition, suivi
d’un renne !
Joël se frotta les yeux, puis les rouvrit. Non, il ne rêvait pas. Un petit renne était
bien là, à quelques mètres d’eux, dans la maison. Nono grogna doucement,
mais le renne se coucha en signe de paix.
— Il est pas méchant, t’inquiète pas, va ! Bonsoir, je m’appelle Colas. Je vous
ai vus sortir de la forêt. C’est pas souvent qu’on a de la visite ici ! Vous resterez
bien avec nous, au moins le temps de vous réchauffer ? Ma Marie fait le meilleur
thé de Noël, et les petits seront contents !
Les enfants s’étaient en effet enfin rapprochés, et entouraient maintenant Nono,
sourire aux lèvres. Certains tentaient de lui donner quelque chose à manger,
avant de le donner au renne. Joël n’avait pas remarqué qu’ils étaient tous vêtus
de rouge et de vert. « De vrais petits lutins », songea-t-il.
C’est alors que Colas lança de sa grosse voix :
— J’espère que vous avez fini les cadeaux, les enfants ! Il va bientôt falloir que
je reparte, moi ! Oh Oh Oh !
Joël observa la vieille dame, le vieux monsieur barbu, les enfants et le renne.
Non. Ce n’était pas possible. Et pourtant. Il osa poser la question.
— Excusez-moi, est-ce que vous êtes le père Noël et la mère Noël ?
Marie et Colas éclatèrent de rire. Marie enchaîna, toujours avec bienveillance :
— Je sais bien qu’on y fait penser, mais vous savez, pour moi, c’est plutôt vous,
le père Noël. Vous êtes arrivés comme un cadeau, avec votre chien, nous qui
avons perdu le nôtre l’an dernier. Je crois qu’on est tous le père Noël ou la mère
Noël de quelqu’un, si on s’ouvre à l’autre. Restez avec nous ce soir, partagez
notre repas. S’il vous plaît.
Comme s’il avait compris, le petit renne se leva et alla boire dans la gamelle
devant Nono, avant de repartir aussi vite.
— Eh oui Rodolphe, toi aussi tu prêtes ta gamelle ce soir ! Alors, c’est d’accord,
vous restez avec nous ?
Nono aboya en signe d’accord, ce qui signa le plus étrange réveillon de Noël de
Joël de toute sa vie.

De Sandy Géronimi

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