Lutin la Fripouille se réveilla tout joyeux. Car ce matin, c’était Son Matin, son jour préféré de
l’année. Le matin de Noël.
N’allez pas croire qu’il aimait Noël, comme tous les enfants du monde, pour sa magie, sa
lumière, non Lutin était une fripouille. C’est-à-dire qu’il adorait faire des farces et pas les plus
gentilles. Il aimait par-dessus tout mettre la pagaille et les disputes, là où il y avait de la paix et
de l’harmonie.
C’est pour cela que le jour de Noël était son préféré et surtout le matin de Noël, juste avant que
les petits enfants ne se réveillent et juste après le passage du Père Noël.
Lutin la Fripouille s’habilla chaudement, mis ses bottes rouges fourrées, son épais manteau vert
et noua solidement son bonnet autour de son cou. Il était prêt. Et hop, à califourchon sur son
vélo volant, il s’éleva dans les airs.
Par où allait-il commencer ?
Tiens, la maison du petit Arthur, ce gamin si joyeux qui aimait tout le monde. Et bien, on allait
voir si ce serait le cas aujourd’hui…
Lutin la Fripouille envoya une pincée de poudre de sommeil sur le museau du chien pour qu’il
ne réveille pas la famille avec ses aboiements et se glissa doucement dans le salon.
Voilà, ils étaient là, tous les cadeaux du Père Noël, bien rangés dans chaque chaussette pendue
à la cheminée. Il s’en donna à cœur joie. Le cadeau du papi pour Arthur, le cadeau de maman
pour papa et inversement, le vélo rouge d’Arthur pour mamie. Quel désordre ça allait être !
Cela le rendit tellement joyeux qu’il se roula par terre d’allégresse.
Jusqu’à ce qu’il voie deux grandes bottes rouges devant lui !
Le Père Noël !!! Lutin la Fripouille ne rigolait plus du tout. Père Noël le saisit par son bonnet
(Lutin regretta de l’avoir si bien attaché) et l’éleva jusqu’à son visage. Lutin gigotait de tous
ses membres, mais la poigne du Père Noël était solide.
« Alors c’est toi, le Lutin qui met la pagaille, tous les Noëls », gronda le Père Noël, avec une
grosse voix.
Lutin baissa la tête. Difficile de mentir, pris sur le fait…
« – Tu veux que je le dise à ta maman ? » reprit Père Noël
– Non, pas maman répondit Lutin avec effroi. Il gigota de plus belle. Pas maman, j’aurais trop
honte !
– Alors, Lutin, ma punition est la suivante. En ce jour de Noël, tu vas faire l’inverse de ce que
tu as toujours fait. Là où il y a de la pagaille, des disputes et des pleurs, tu vas ramener la paix
et l’amour. Tu as compris ?
– Oui, oui Père Noël, j’ai compris, mais laissez-moi descendre !
– Va maintenant, et n’oublie pas que je t’ai à l’œil…
Lutin sauta sur son vélo et s’envola sans demander son reste.
Il avait eu chaud…Il n’osait pas imaginer le chagrin de sa maman si elle avait appris ses bêtises.
Bon, par quoi allait-il commencer ?
Il survolait le petit village emmitouflé dans son manteau de neige, aux jolies maisons dont les
panaches de fumée montaient vers le ciel. Tout avait l’air si calme, si paisible et heureux.
Comment allait-il remplir sa mission ? Alors qu’il commençait à désespérer, il aperçût une
cheminée sans fumée. Avec ce froid, c’était bizarre…
Lutin s’approcha. La maison était grise, ses volets cassés, elle semblait triste et désolée. Bon
elle n’est pas habitée, se dit Lutin. A l’instant où il partait, il entendit des éclats de voix puis des
pleurs d’enfant.
Parfait, c’était pour lui. Descendu doucement par la cheminée froide, il glissa un œil dans le
salon. Là, il vit deux grandes personnes qui se disputaient et dans le coin de la pièce, une petite
fille en pleurs.
Il tendit l’oreille : « tu n’as plus de travail, on n’a pas d’argent pour fêter Noël, criait la dame.
Pas de feu dans la cheminée, pas de bon repas… »
-Ce n’est pas ma faute, je ne veux plus fabriquer des jouets en plastique qui polluent la terre, je
veux créer des jouets en bois, dit le monsieur indigné.
-Oui mais en attendant, on n’a plus de sous reprit la dame.
Lutin la Fripouille se gratta la tête.
Que faire ?
Soudain, une idée ! Hop, en un clin d’œil de lutin, il se retrouva chez les voisins. Leur maison
était bien différente, bleue comme le ciel, joliment décorée, des rires et des chants dans le salon,
une bonne odeur de gâteau.
« Cette famille heureuse ne sait pas qu’à côté, il y a tant de tristesse. Comment le leur faire
comprendre… » se demanda Lutin.
Il décida de jeter un petit sort au gros chien marron qui faisait la fête aux enfants de la maison
bleue. Il faut savoir que les lutins ne peuvent pas utiliser la grande magie, réservée aux fées et
aux sorcières, mais ils savent faire des petits tours.
Lutin souffla donc un nuage doré sur la truffe de Max, le gros chien et lui expliqua ce qu’il
attendait de lui. Max écouta attentivement puis fila chercher Hortense et Julien, les enfants de
la maison bleue.
A grand renfort d’aboiements et de sauts, il les mena jusqu’à la porte de la maison grise, s’assit
et arrêta de japper… Hortense et Julien, en enfants bien élevés, restaient à l’entrée du jardin, ne
comprenant pas bien ce que voulait Max. Prêts à s’en retourner, ils entendirent les pleurs de la
petite fille. Sans hésiter, Hortense se hissa pour regarder, par la fenêtre, l’intérieur de la maison.
Le spectacle de désolation lui fendit le cœur : la petite en larmes, les parents chacun dans leur
coin sans se parler, la maison qui semblait pleurer elle aussi.
Ni une, ni deux, Hortense, qui avait été rejointe par son, frère sonna à la porte.
« Joyeux Noël » lança-t-elle à la maman
-Joyeux Noël, lui répondit tristement celle-ci.
– Pourriez-vous nous rendre un service, Madame ? » demanda Hortense, qui était une petite fille
dégourdie et intelligente.
La dame étonnée, la regarda sans répondre.
« Trois personnes de notre famille nous ont prévenu, ce matin, qu’ils ne pourraient pas
participer à notre repas de Noël car il y a trop de neige sur les routes. Maman déteste gâcher de
la bonne nourriture et cela lui ferait très plaisir si vous pouviez venir. Elle vous en serait très
reconnaissante. » Bien sûr Hortense mentait un peu, mais c’était pour la bonne cause et elle
savait que sa maman ne serait pas fâchée.
-Et bien… commença la dame
-Dis oui, maman, dis oui, supplia une petite voix derrière. C’était la petite fille, soudain toute
joyeuse. Sa maman ne put refuser.
-Bien, d’accord, si c’est pour rendre service… »
Et c’est ainsi que sur les douze coups de midi, les habitants de la maison grise se rendirent au
repas de Noël de la maison bleue.
Ce ne fut que rires et chansons, galipettes avec Max, cadeaux partagés avec la petite fille… et
le papa d’Hortense proposa à l’autre papa d’acheter ses jouets en bois, pour les vendre dans son
grand magasin de produits naturels.
La joie de Noël était dans tous les cœurs…
Lutin la Fripouille se réjouit de cette réussite, mais ne s’attarda pas. Il avait passé sa matinée à
semer le bonheur et l’harmonie dans tout le village et il avait encore plein de travail.
Ayant pris goût à la mission imposée par le Père Noël, il continua toute l’année à apporter la
joie aux enfants et à leurs parents.
Tant et si bien qu’on ne l’appela plus jamais la Fripouille et que sa maman fut très fière de lui.
De Isabelle Lespingal