Le bonhomme de neige - Ocarina Player
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    Le bonhomme de neige

    Le bonhomme de neige

    Chacun, regroupé autour du foyer, attendait avec impatience la venue du Père Noël. Nul
    n’en savait l’heure et les enfants commençaient à s’impatienter. Bien que le sommeil leur piquât les
    yeux, le marchand de sable étant passé depuis fort longtemps, aucun ne voulut aller se coucher tant
    qu’ils n’auraient pas vu la grande cape rouge et la hotte débordante de jouets.
    Dis grand-père, tu nous racontes une histoire ?
    Et laquelle ?
    Celle du petit bonhomme de neige.
    Alors le brave grand-père s’installa dans son fauteuil, ses deux petits enfants étroitement
    pelotonnés contre ses jambes et, comme bien souvent les soirs d’hiver, commença son conte.
    Il était une fois… une petite ferme au cœur de la grande forêt ariégeoise. Nicolas et Aurore y
    vivaient eux avec leurs parents. Comme aujourd’hui, la vie n’était pas facile tous les jours. Leur
    père devait travailler dur pour nourrir toute sa famille. Dans notre Pays d’Olmes, l’hiver a toujours
    été rude et long. Heureusement, l’homme savait occuper ces longues journées de la morte saison.
    Avec dextérité, il tressait des paniers d’osier ou de joncs vendus ensuite par son épouse au marché,
    dès les beaux jours retrouvés.
    Je me souviens de ce petit bonhomme de neige, comme si c’était hier. On était en décembre,
    comme aujourd’hui. Depuis quelques jours déjà, la maisonnée s’animait d’une joyeuse frénésie, peu
    coutumière. Noël approchait ! Le père avait coupé un jeune épicéa et l’installait. De son côté, la
    mère confectionnait la crèche, sculptant de ses mains habiles des santons en cire d’abeille et pâte à
    sel. Les décorations de l’arbre incombaient aux enfants. Tout l’été, ils avaient glané dans les alpages
    une multitude de fleurs multicolores, ensuite séchées au soleil, sur des claies, avant de les stocker
    dans des petites boîtes en prévision de Noël. Ils avaient aussi récolté moult mousses et lichens
    remisés au fond de sacs toile, attendant pour revoir le jour un si beau jour. Quant à la grand-mère,
    au crochet, avec amour, elle avait confectionné de nombreux petits filets de coton aux lâches
    mailles. Pour quoi faire ? Pour y loger des œufs. Oh ! pas n’importe lesquels ! Avant de les
    suspendre à l’arbre, Aurore et Nicolas faisaient macérer pendant plusieurs jours leurs fleurs séchées
    après les avoir écrasées à l’aide d’un pilon afin d’obtenir des teintures de toutes les couleurs dans
    lesquelles ils les baignaient ensuite. A leur sortie, les coquilles étaient jaunes, bleues, vertes,
    rouges… Bref, il s’en trouvait de presque toutes couleurs de l’arc-en-ciel.
    Et pour les guirlandes, grand-père ?

    A cette époque, personne n’en vendait. Il fallait les confectionner soi-
    même. En prévision, les enfants avaient ramassé sur les églantiers sauvages
    les fibres de laine effilochée laissées par les brebis à leur passage. La laine
    teintée à son tour en longues traînes légères réalisait les plus belles guirlandes
    qui soient. Quelques copeaux de bois vrillés, quelques écorces tortillées, de
    préférence de bouleau, complétaient le décor.
    Ainsi paré de ces œufs, de ces guirlandes, de ces copeaux et d’une multitude de petits
    noeuds de toutes les couleurs, leur arbre de Noël n’était-il pas magnifique ?

    Pour les santons, la mère avait pris un soin particulier à les façonner.
    Par amusement, par amitié, mais peut-être aussi par dérision, tous les gens du
    hameau figuraient dans leur crèche en plus, bien sûr, de Joseph et Marie, sans
    oublier l’âne et le bœuf. Il ne manquait que le Petit Jésus. Suivant la tradition,
    il ne rejoindrait son berceau de paille qu’au retour de la messe de minuit. Les
    visages, façonnés dans la cire d’abeille de leur ruche, se trouvèrent si réussis
    qu’ils paraissaient être bien vivants. En les regardant, d’aucuns auraient
    presque pu croire qu’ils voulaient parler, raconter
    les potins du quartier, tant leurs yeux débordaient de véracité. Se trouvaient là le forgeron, le
    maréchal-ferrant, le boulanger, la laitière et ses pots au lait, la fileuse de laine, le menuisier, le
    pâtre… Bref, personne n’avait été oublié. Même le bedonnant curé avait trouvé sa place juste
    derrière Joseph. Sa condition d’ecclésiastique lui autorisait une place de choix auprès de l’enfant
    Dieu.
    Quand sapin et crèche furent installés, tous se retrouvaient le soir à la veillée pour raconter
    des histoires d’antan, comme nous en cette soirée. Vous voyez mes enfants, les choses n’ont guère
    changé. A cette époque, aux hommes avait échu le rôle de conter des histoires. Les femmes se
    tenaient à l’écart, filant la quenouille. Les enfants, d’ordinaire si loquaces, se taisaient, buvant
    chacune des paroles des anciens leur contant les récits du temps lointain des Cathares. Bien qu’ils
    les eussent entendues des centaines de fois, l’épisode du bûcher de Montségur leur faisait toujours
    froid dans le dos.
    … Dehors, la neige était au rendez-vous. Depuis deux jours, elle
    tombait sans discontinuer, légère et régulière, froide et meurtrière,
    habillant la terre d’un doux linceul blanc. Déjà, des toits, pendaient de
    longues chandelles de glace brillant comme mille diamants au lever du
    soleil. Même le coq, avec ce froid sibérien, semblait enroué et, une fois
    chantées mâtines, réintégrait promptement le poulailler afin de s’y
    réchauffer. La couche dépassa bientôt les cinquante centimètres.

    Et si l’on faisait un bonhomme de neige ! proposa Nicolas à sa sœur.
    Les deux enfants armés de mitaines, de leur grosse pelisse
    de mouton retourné, roulèrent boule sur boule pour entasser une
    grande quantité de neige, juste à quelques mètres devant la maison.
    Quand le tas fut aussi haut que le père, ils commencèrent à le
    façonner. Petit à petit, la masse informe se fit humanoïde. Pour être
    parfait, ne lui manquaient plus que les accessoires ! Une jolie
    carotte le pourvut d’un nez bien rouge. Deux œufs peints en bleu
    constituèrent les yeux. Avec du charbon de bois, les enfants lui
    dessinèrent les cils et les sourcils. Quand à la bouche, elle prit
    forme grâce à des bouts de laine.
    Ce fut Caroline qui eut l’idée de mettre à l’humanoïde un cache-nez afin qu’il ne puisse s’enrhumer.
    Quant à Nicolas, il dénicha un vieux balai de genêt qu’il planta dans leur beau bonhomme de neige.
    Pour couronner le tout, ne manquait plus qu’une coiffe. Un vétuste chapeau de paille servant aux
    moissons fit l’affaire.
    Leur ouvrage terminé, au travers de la vitre de l’unique pièce faisant office aussi bien de
    séjour que de cuisine, confortablement installés près de l’âtre, tout en se réchauffant grâce à la
    chaleur dégagée par une vieille bûche de chêne, les enfants admirèrent leur chef-d’oeuvre. Leur
    bonhomme de neige, comme les santons de la mère, semblait vouloir parler et même rire, tant il
    était réussi. Tous les autres gamins du hameau venaient admirer leurs réalisations. Certains en furent
    même jaloux ! Peu importe, Noël serait un beau Noël !

    Noël, c’est d’abord la naissance de l’enfant Dieu dans sa petite étable de Bethléem et, par
    conséquent, la messe de minuit. Personne au village ne se serait avisé de manquer les offices de la
    nuit sainte. Le curé en aurait pris ombrage et la malédiction divine aurait pu frapper toute la famille.
    Aussi, tous se rendirent à l’office chanter joyeusement Minuit Chrétien. Avant de partir, la mère
    avait sorti les confits des pots de grès et le père décroché le plus beau jambon du cellier pour
    l’entamer à leur retour. La grand mère avait cuisiné la bûche de Noël, si bien que tout était fin prêt.
    Afin de pouvoir se réchauffer après l’office religieux, Nicolas avait déposé
    dans l’âtre une grosse bûche d’acacia. Elle se mit aussitôt à crépiter de
    plaisir sous les flammèches qui semblaient venir la lécher affectueusement.
    Parfois, elle éclatait de rire, produisant alors mille et une petites étincelles
    qui, brillantes, s’élevaient fièrement dans la cheminée avant de retomber
    en cendre pour être aussitôt remplacées par les suivantes.

    L’acacia s’avéra être du bon bois, bien sec, si bien que, très vite, le feu jouant avec la bûche
    produisit des flammes de plus en plus belles. De son côté, elle riait tout autant, libérant une myriade
    d’étincelles incandescentes. L’une des flammèches, ayant dû la chatouiller plus que les autres,
    déclencha chez notre bûche un rire si puissant qu’il propulsa une flopée d’étincelles en un
    magnifique feu d’artifice. Hélas, l’une d’entre elle retomba sur le sapin, encore rougeoyante.
    Tout d’abord, l’on vit s’élever un peu de fumée presque aussitôt suivie
    d’une toute petite flamme. Elle ne mit guère de temps pour gagner une
    guirlande de copeaux. Les santons, découvrant la catastrophe, furent la
    proie d’une indescriptible panique. Sous l’effet de la chaleur,
    dangereusement ressentie, les sourires quittèrent leurs beaux visages.
    Des larmes de cire perlèrent sur leurs joues illuminées du reflet
    dansant des flammes amusées.
    On ne va pas mourir ainsi ! Ce serait trop bête ! déclara le forgeron.
    Il faut faire quelque chose, ajouta le maréchal-ferrant.
    J’ai bien mes pots au lait, déclara la laitière.
    Entre flammes et santons, s’engagea une lutte sans merci. Chacun, avec les maigres moyens
    dont il disposait, tenta de faire de son mieux pour combattre l’incendie qui avait maintenant
    embrasé presque tout le sapin. Malgré leur courage, leur ténacité, il leur fallut se rendre à
    l’évidence. Seuls, ils ne pourraient en venir à bout. Ils étaient perdus ! Le plus embêté se trouva
    encore être le curé. Il n’était pas du tout certain de l’accueil qui lui serait réservé au Paradis.
    Si on lui avait attribué une place de choix au sein de la crèche, du fait de
    ses innombrables péchés de bonne chère, il risquait fort de se voir
    condamner à l’éternel bûcher, pour expier ses fautes. Une telle
    éventualité ne le réjouissait guère. La cire fondant, il se retrouva à
    genoux, suppliant Dieu de ses ferventes prières afin qu’il daigne venir à
    leur secours et leur évite les affres d’une mort ignominieuse.

    Et le bonhomme de neige ! On pourrait lui demander de nous aider ! proposa le jeune pâtre.
    Mais, comment faire ? La porte est fermée !
    Alors, d’un même élan, tous les santons se précipitèrent vers la fenêtre. Avec leurs petites
    mains déjà toutes ramollies par la chaleur, ils tambourinèrent désespérément sur la vitre pour tenter
    d’attirer l’attention du bonhomme de neige qui, tout seul, dans la nuit froide et noire, riait avec les
    étoiles. Le feu gagnait de plus en plus et, si, aucune solution n’était rapidement trouvée, toute la
    maison s’embraserait à son tour. Ils redoublèrent d’efforts tout en s’époumonant.

    Au secours ! Au secours ! Aidez-nous ! Nous allons mourir ! Au secours !
    Enfin le bonhomme de neige les remarqua. Il les regarda, amusé. En découvrant les volutes
    de fumée, les flammes dévorant les jolies guirlandes, il réalisa le dramatique de la situation et en
    perdit son beau sourire. Les enfants ayant omis de lui sculpter des jambes, ce fut au prix
    d’incroyables contorsions, d’efforts surhumains, qu’il parvint jusqu’à la fenêtre. Il se trouva face à
    un nouvel obstacle : la vitre ! Un instant, il hésita. Puis, saisissant le balai de genêt, avec l’énergie
    du désespoir, il commença à donner de grands coups de manche tant et si bien qu’à la fin elle se
    brisa. Passant une main, tout en prenant bien garde de ne point se couper avant les éclats de verre, il
    ouvrit la porte et, toujours en se traînant, en se tortillant comme un ver, suivi de tous les santons qui
    reprenaient espoir, il se dirigea vers le sapin qui n’était déjà plus qu’une torche.

    Avec l’aide de son balai, il tenta d’éteindre l’incendie.
    Impossible ! Trop de guirlandes, trop de copeaux, trop de
    lichens… Jamais il ne réussirait. Tous commencèrent à de nouveau
    désespérer. Leur fin était proche. Avec la forte chaleur, chaque
    santon se retrouva à genoux, préparant son âme pour le grand
    voyage. Personne ne pouvait plus rien pour eux. La mort, une
    mort affreuse, épouvantable, devenait inévitable. Le bonhomme
    de neige commença lui aussi à transpirer toute l’eau de son corps
    de glace. Une marre commença à courir lentement sur le sol. La
    voyant, le boulanger s’écria :
    Petit bonhomme de neige, tu peux tous nous sauver !
    Et comment ?
    Par un grand sacrifice.
    Lequel ?
    Celui de ta vie. Pour que le feu nous épargne ainsi que la maison, je ne vois qu’une
    solution.
    Et laquelle ?
    Te jeter sur le sapin ! Les flammes feront fondre ton corps et l’eau ta neige éteindra le feu.
    Mais, si je fais cela, je vais mourir !
    Si tu ne meurs, nous mourrons tous et la maison brûlera. Aurore et Nicolas n’auront plus de
    toit pour se protéger des frimas.
    Alors, le bonhomme de neige, comprenant son devoir, poussé par tous les santons, sur le
    sapin se laissa choir. Tous deux s’écroulèrent sur le sol. Petit à petit, il fondit au fur et à mesure que
    les flammes s’estompaient. Quand de son corps ne resta plus qu’une petite boule de neige, le feu
    était enfin circonscrit. Alors, le curé, soutenu par tous les santons reconnaissants, adressa à Dieu une
    supplique afin qu’il accepte dans son paradis l’âme du courageux bonhomme de neige.

    Quand la famille revint de la messe, tous furent étonnés de ne point voir leur compagnon de
    glace en faction devant la maison. A sa place, un énorme trou !
    Maman, on nous a volé notre bonhomme de neige ! ne put s’empêcher de s’écrier Aurore,
    des larmes plein les yeux.
    En pénétrant au séjour, ils découvrirent le sapin à même le sol, presque entièrement
    consumé. De ses belles décorations, plus aucune ! Un peu plus loin, tous les habitants du village
    dans le plus complet désordre. En voyant s’écouler les larmes de cire sur les tristes visages des
    santons pleurant la mort de leur ami et, épars sur le sol, le cache-nez, la carotte et les deux yeux
    bleus éclatés, ils comprirent le drame déroulé en leur absence. Leur bonhomme de neige s’était
    sacrifié pour sauver et ses amis et la maison. Quelle abnégation !
    Alors, les enfants, avec une profonde émotion, des larmes au coin des yeux, prirent dans
    leur main la petite boule de neige, le cache-nez, la carotte, les yeux bleus. Ils sortirent au jardin,
    suivis de tous les santons. Ils creusèrent un trou dans le sol, enterrèrent la petite boule de neige. Le
    trou rebouché, ils confectionnèrent une petite croix de bois qu’ils plantèrent bien droit, sur la tombe
    de leur sauveteur. Au pied, ils placèrent le curé toujours à genoux pour que, par ses prières, il
    intercède sans discontinuer auprès de son Dieu afin qu’au sein de son Paradis il accordât la plus
    belle place à l’héroïque bonhomme de neige.
    Depuis ce jour, devant chaque maison, peu avant Noël, les enfants construisent un grand
    bonhomme de neige à qui échoit la responsabilité de veiller sur leur demeure pendant la messe de
    minuit. Quand à l’acacia, source de tous leurs malheurs, la cheminée lui fut désormais interdite et,
    par un jugement hâtif, il fut condamné à devenir piquet de clôture. Il passe désormais tous ses Noëls
    seul, dehors.

    De Auns Darouaz

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