Personnages : Picpus, Monique, Babette, Frida, Alejandro, Manuela, le sorcier du tapis volant, le sorcier à l’accueil, la sorcière pour présenter, Viperus
Un nouveau jour se lève sur le manoir des Bois Verts. La Picpus habite toujours là, bien installée avec ses araignées, son balais et ses énormes citrouilles qui grossissent tranquillement au fond du jardin. Le soleil passe entre les rideaux troués et vient chatouiller les moustaches de son gros chat Phébus. La Picpus jette un coup d’œil par la fenêtre et soupire.
Phébus acquiesce d’un miaulement plaintif.
Elle enfile une paire de chaussons en poils de mygales. Alors qu’elle descend les escaliers poussiéreux, un drôle de bruit attire son attention. C’est son amie Monique qui débarque, l’air complètement surexcité. La Picpus entrouvre sa porte.
Monique tire de sa manche une feuille à moitié déchirée. La Picpus parcourt la page des yeux.
La Pic-Puce relit la phrase. Elle n’en croit pas ses yeux. Chaque année depuis qu’elle est en âge de tenir une baguette magique, elle tente sa chance aux épreuves de sélection du concours international de sorcellerie. Mais chaque année elle est recalée. Ses tours ne sont jamais assez spectaculaires.
Elle a horreur du balais depuis qu’elle s’est retrouvée prise dans une averse de grêle à 400 mètres d’altitude.
Monique la suit et la Picpus se retrouve seule dans sa cuisine, un peu abasourdie. Mais elle se ressaisit rapidement et file chercher sa vieille valise sous son lit. Elle la remplit de tout ce qui lui passe sous la main. Une paire de gants en peau de pingouin, un grigri d’Arabie, une vieille chaussette à moitié mangée par les mites. Et le fameux grimoire de sa grande tante Ursulette.
Le soir tombe et la Picpus traîne sa grosse valise jusqu’au champ de lune. Elle a mis son plus beau chapeau noir et son châle le moins troué. Elle brinquebale aussi un petit panier en osier duquel s’échappent des miaulements de désespoir. Le pauvre Phébus se terre au fond de son panier. Il n’est jamais allé plus loin que les Bois Verts.
Monique et Babette lui font signe de les rejoindre sous un grand peuplier. A côté d’elle, il y a un drôle de monsieur assis sur un grand tapis violet.
La Picpus lève un sourcil et s’assoit sur le tapis en serrant son petit panier contre elle. Monique, assise à côté d’elle, n’en mène pas large non plus. Seule Babette paraît tout à son aise. Elle grignote un paquet de pattes d’araignées grillées en feuilletant une brochure sur Mexico.
La Picpus hausse les épaules d’un air dédaigneux. Ce qui compte c’est avant tout le concours ! Inutile de traverser l’océan pour voir des gens chanter et danser partout. Le tapis se met à onduler et décolle en direction des nuages. Phébus miaule à la mort au fond de son panier.
Une montagne de nuage s’étale leurs yeux, parsemée de petits reflets orangers. Au loin, le soleil termine sa course dans une brume violette. Elle aperçoit les Bois Verts, à moitié plongés dans l’obscurité. Les arbres qu’elle connaît par cœur ont l’air minuscule vu d’ici. Elle inspire une grande bouffée de ciel..
-Bon, je vais faire un petit somme, marmonne-t-elle en baissant son chapeau. Bercée par les ondulations du tapis, elle glisse dans le sommeil. Elle s’imagine portant la coupe, grande gagnante du concours. La foule en délire. Sa place dans la lignée des plus grandes sorcières de tous les temps…
Le tapis poursuit sa course dans le ciel et atterrit sans encombre à Mexico. Nos trois sorcières sont toutes froissées et cabossées de leur nuit passée dans les airs. L’air chaud et moite de la ville les fait transpirer à grosses gouttes sous leurs épais châles en laine. En découvrant la ville, elles ouvrent des yeux grands comme des soucoupes. Tout autour d’elles c’est une gigantesque fête. Pleine de fleurs, de couleurs, de personnes qui dansent dans de grandes tenues bariolées et d’enfants qui courent et qui chantent. Partout il y a des vendeurs de petites brioches saupoudrées de sucre. Et les gens portent tous un étrange maquillage sur le visage. On dirait des squelettes.
La Picpus fronce les sourcils. Depuis quand est-ce que fêter les morts rend les gens heureux et leur donne envie de danser dans la rue ?
Une dame brune vêtue d’une grande jupe à fleurs accourt en direction des sorcières. Elle est suivie de deux enfants qui portent des couronnes de fleurs sur la tête.
Les trois amies suivent Frida et ses petits apprentis dans un dédale de petites rues colorées. Des lampions de toutes les couleurs se balancent dans le vent et partout il y a des guirlandes de fleurs. Elles finissent par arriver devant une maison toute penchée, cachée derrière une église. Frida les invite à entrer. La Picpus a la tête qui tourne de voir autant de couleurs. Les tapis, les rideaux, le canapé, tout est joyeux ici. Son manoir tout gris lui manque.
Trois petits coups discrets se font entendre à la porte.
Deux petites têtes brunes avec un large sourire entrent dans la pièce. Alejandro et Manuela jettent un coup d’œil curieux au vieux grimoire.
Les deux enfants s’éclipsent et la Picpus reste seule à tourner et retourner ses tours de magie dans sa tête.
Le lendemain matin toute la ville est en effervescence. L’écho d’une fanfare résonne sous les fenêtres de la chambre. La Picpus a passé la nuit à farfouiller dans son grimoire mais les formules lui paraissent toutes trop compliquées.
Elle descend les escaliers. Et tombe nez à nez avec Monique et Babette, toutes deux coiffées d’une couronne de fleurs, en train de danser la salsa au milieu de la cuisine.
Elles parviennent au château de Chapultepec. Une immense bâtisse perchée sur les hauteurs de Mexico. Un grand sorcier à la mine lugubre, avec un corbeau perché sur l’épaule les accueille.
L’atmosphère qui règne dans le château est étouffante. Les épais murs sont recouverts de tentures noires et des encens qui brûlent dans tous les coins empestent le dahlia noir. La Picpus et ses amies arrivent dans une immense salle pleine à craquer de sorciers et de sorcières venus de tous les pays. Ils sont tous vêtus de robes noires et de grands chapeaux. – Retirez donc ces couronnes de fleurs ! peste la Picpus en direction de Monique et Babette. Vous allez nous faire remarquer. Monique et Babette enlèvent leur couronne d’un air penaud.
Elles se frayent un chemin dans la foule et se rapprochent de la scène. Une sorcière aux cheveux couleur de feu et au visage très pâle sous une constellation de tâches de rousseur prend la parole.
des participants. Je vous prie de bien vouloir accueillir notre premier candidat : Le sorcier
Viperus.
Un petit homme aux yeux verts étincelants grimpe sur la scène et commence un incantation. – A ingens anguis oritur et terret turba. Terror !
Un nuage noir sort de ses doigts et forme un immense serpent qui se met à onduler sous les yeux térrifiés de la foule qui applaudit. La Picpus réprime un frisson.
C’est ensuite au tour d’une grande sorcière aux tresses brunes. Elle entame une danse de la pluie et ce sont des araignées qui se mettent à tomber dans toute la salle. La Picpus hoche la tête. Les sorcières et les sorciers se succèdent sur la scène et redoublent d’invention pour proposer des tours plus effrayants les uns que les autres. Mais au bout d’un moment la Picpus étouffe un bâillement. Elle jette un coup d’œil à Babette qui somnole sur sa chaise et à Monique qui a sorti un tricot.
La sorcière aux cheveux roux présentent les deux prochains participants.
La Picpus lève les yeux au ciel. Un murmure d’étonnement parcourt la salle alors que les deux enfants montent sur scène. C’est bien la première fois que des enfants participent au concours.
Manuela sort de sa poche une petite fiole remplie d’une poudre dorée et en retire soigneusement le bouchon. Elle la dépose ouverte à ses pieds. Puis Alejandro et elle se prennent les mains et commencent à réciter.
Per pulveris beatitudinem, quod omnis | populus huius locus laetissimus. Allegria ! |
–
La poudre dorée s’envole du flacon dans un nuage étincelant. Elle vient saupoudrer les chapeaux noirs et les nez crochus partout dans la salle. Un grand silence s’installe.
La Picpus se frotte le nez.
Mais à peine a-t-elle fini de ronchonner qu’une musique entrainante sortie de nulle part retentit. Les murs se couvrent de couleurs et des guirlandes de fleurs apparaissent aux quatres coins de la pièce. La picpus regarde Babette et réprime un cri de surprise.
C’est comme si une immense vague de couleurs s’était répandue sur tous les sorciers et sorcières de la salle. Certains ont les cheveux roses, d’autres des moustaches violettes, d’autres voient leur robe se couvrir de fleurs. Un sourire incontrôlé vient étirer les lèvres de la Picpus. Puis un petit rire la secoue. Monique et Babette se mettent à glousser à côté d’elle. Bientôt toute la salle est prise d’un fou-rire général.
Et voilà que la Picpus aussi est prise d’une incontrôlable envie de danser, de chanter et de faire la fête.
Toutes les sorcières et tous les sorciers semblent avoir eu la même idée et les voilà qui sortent du château, se mêlent à la foule et se mettent à danser sous le soleil. La Picpus rient de toutes les couleurs qui animent la ville. Dans le grand bleu du ciel elle croit voir sa tante Ursulette qui lui fait un clin d’oeil. Après tout, pas besoin de fantômes et d’araignées pour fêter les morts. Les sourires et la joie c’est aussi bien !
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